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Tickets covid-19: 19 condamnations, un seul acquittement. (Forum)

par Blake, lundi 08 février 2021, 21:32 (il y a 1164 jours)

Des citoyens ont décidé de contester la contravention qu’ils ont reçue pour rassemblement illégal en pleine pandémie. La Presse les a suivis dans leurs démarches rarement fructueuses.

Contester une contravention de 1546 $ imposée pour rassemblement illégal dans le cadre de la pandémie n’est pas chose facile. La Presse a assisté la semaine dernière à une vingtaine de procès de citoyens accusés d’avoir violé les décrets sanitaires. Un seul a mené à un acquittement.

Lundi dernier, à 9 h 30, le couloir du 13e étage du palais de justice de Montréal détonne du reste de l’immeuble pratiquement désert. Une quinzaine de policiers masqués bavardent en attendant l’ouverture des portes de la salle d’audience.

Bien à l’écart, une poignée de citoyens nerveux observent les allées et venues du personnel judiciaire.

Deux procureures de la Couronne, facilement reconnaissables à leurs toges noires, invitent les citoyens à tour de rôle à les rencontrer dans un étroit cubicule. Ce sera, pour les défendeurs, la dernière occasion d’essayer de négocier une réduction de frais à la contravention de 1546 $ dont ils ont écopé pour violation du décret sanitaire.

La plupart en ressortent impassibles, prêts à en découdre devant la juge. « La procureure m’a proposé 296 $ de réduction sur 1546 $. J’ai refusé. Je suis convaincue de la justesse de ma cause », a dit Eve Bernard, quelques minutes avant son procès. Elle est la seule défenderesse, parmi la vingtaine de causes que nous avons suivies la semaine dernière, qui s’en est tirée avec un acquittement.

Au cours des prochaines semaines, la Cour du Québec entendra des centaines de causes semblables de citoyens qui ont plaidé non coupable aux contraventions données par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour violation du décret sanitaire. Sur les quelque 5000 constats imposés en date du 31 janvier, plus de 1800 défendeurs avaient ainsi réclamé la tenue d’un procès.

Environ 120 de ces causes étaient inscrites au rôle pénal du palais de justice de Montréal pour la seule semaine qui vient de s’écouler. Bien que le DPCP ne tienne pas de registre du nombre de personnes acquittées ou condamnées au terme des audiences, nos observations et l’information glanée auprès du personnel judiciaire permettent de croire que les acquittements ne sont pas légion.

Sur les 20 procès auxquels La Presse a assisté, 16 ont mené à une condamnation pratiquement immédiate des défendeurs, qui ne s’étaient tout simplement pas présentés pour faire valoir leurs arguments. La Couronne n’a eu, dans ces cas, qu’à faire témoigner pendant une dizaine de minutes le policier qui a donné le constat.

En plus de payer les 1546 $ d’amende dans les 90 jours, ils devront débourser 99 $ de frais judiciaires pour la tenue du procès.

Pour ceux qui se présentent devant le juge, le combat n’est pas gagné d’avance. Trois causes que nous avons suivies ont mené à une condamnation, et une seule à un acquittement.

Aucun des défendeurs n’était représenté par un avocat. « J’ai vérifié, et on m’a dit que ça me coûterait aussi cher de faire venir un avocat que de payer le ticket », a indiqué Daniel Harvey, un aidant naturel qui s’est présenté avec deux témoins, mais qui a tout de même perdu son procès.

Oubliez les plaidoiries complexes faisant valoir une atteinte aux libertés fondamentales ; les contestations se jouent sur des faits très terre à terre. À quelle distance se trouvait l’agent qui a constaté l’infraction ? Les défendeurs ont-ils collaboré avec les forces de l’ordre ? Comment expliquez-vous la présence de verres de vin sur la table à l’arrivée des policiers ?

Dans la plupart des cas, c’est la crédibilité des témoignages qui est au cœur de l’affaire. Et elle est mise à rude épreuve par des procureures de la Couronne aguerries, qui ne font pas de cadeau une fois dans l’arène.

Qui conteste sa contravention ?
Coupable : trahi par une coupe de rouge
Depuis 2017, Daniel Harvey est l’aidant naturel d’un homme analphabète qui a des problèmes de mobilité. Il se rend à son appartement une fois par semaine pour faire le ménage et l’aider à remplir ses commandes de médicaments. Quand les policiers se sont pointés chez cet homme, le 4 avril, vers 17 h 30, ils y ont aperçu M. Harvey ainsi qu’une troisième personne, Eman Sloan. Les policiers ont vite conclu que les trois hommes s’apprêtaient à souper entre amis, contrevenant à l’interdiction de se rassembler à l’intérieur décrétée depuis la mi-mars. M. Harvey, qui était assis derrière l’ordinateur à l’arrivée des agents, buvait une coupe de vin rouge. Les trois hommes ont tous témoigné à la barre, soutenant que M. Sloan les attendait sur le balcon situé à l’arrière de l’appartement avant la visite des policiers. Pendant combien de temps M. Sloan a-t-il patienté dehors en plein mois d’avril ? Les trois témoignages étaient fortement contradictoires. Et malgré le dépôt en preuve d’un billet signé par un médecin prouvant que M. Harvey est bien l’aidant naturel du locataire, la juge Suzanne Bousquet n’a pas cru à ses explications. « Je dois vous déclarer coupable », a tranché la magistrate, soulignant que le fait d’être aidant naturel ne donne pas, dans le cadre du décret, carte blanche pour tenir des activités sociales une fois le service d’aide accompli. Compte tenu de ses revenus modestes, la juge a réduit l’amende de M. Harvey à 1000 $ – le minimum prescrit par le décret –, le tout sans aucuns frais de justice.

Coupable : manque de diligence malgré une situation troublante
La défenderesse, dont nous avons décidé de taire le nom, a reçu une amende pour rassemblement illégal le 17 mai, vers minuit, alors qu’elle se trouvait à une fête chez sa sœur, en compagnie de cinq autres personnes. Elle y avait emménagé temporairement quelques jours auparavant après qu’une personne de sa famille élargie lui a proféré des menaces verbales. Preuves à l’appui, la défenderesse a démontré que la police a interdit à l’homme qui l’a menacée d’approcher de sa résidence. L’appartement de sa sœur était son « refuge », a-t-elle plaidé. « J’étais en détresse. » La juge Julie Laliberté a cru l’explication, mais a rejeté le moyen de défense. « Même si je dois considérer que vous deveniez la résidante de votre sœur dans les circonstances, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu un rassemblement [chez cette dernière]. La situation ne vous donne pas une immunité », a-t-elle tranché. La défenderesse, sachant que le décret interdisait les rassemblements, n’a pas fait preuve de diligence en tentant de convaincre sa sœur d’annuler la fête. La juge l’a condamnée à 1000 $ d’amende plus les frais de 1546 $ et les frais de justice. « Je ne comprends pas, a dit la dame à sa sortie de la salle d’audience. Ils viennent de me faire revivre le même stress que j’ai subi quand j’ai été menacée. C’est trop. » Elle souhaite maintenant porter la cause en appel.

Coupable : nul ne peut ignorer la loi
Marek Chlumsky jouait aux cartes chez un ami lorsque les policiers ont cogné à la porte, le 11 mai, répondant à un appel pour rassemblement illégal au 911 par le propriétaire de l’immeuble. Sa défense était toute simple : « c’est mon ami qui m’a appelé le jour même pour me dire qu’on était déconfinés. Si j’avais su que ce n’était pas le cas, je n’y serais jamais allé », a-t-il expliqué à la juge Julie Laliberté. La magistrate n’a pas étiré le procès davantage : « l’ignorance de la loi n’est pas un moyen de défense », a-t-elle tranché. « Vous auriez dû faire vos vérifications. Ces règles-là ont été répétées et répétées. » Compte tenu de ses revenus très modestes, elle a réduit l’amende à 1000 $.

Non coupable : doute raisonnable

Eve Bernard se baladait en compagnie de son conjoint sur le mont Royal, l’après-midi du 12 avril, lorsqu’un policier à vélo les a observés marchant « à distance de coude » d’une troisième personne, sur une distance de près de 100 mètres. Étant directrice d’une école primaire, elle a dit prendre très au sérieux les mesures sanitaires. Elle a plaidé avoir croisé cette personne, une collègue de son conjoint, par hasard, et pendant quelques secondes seulement. Son conjoint, appelé à témoigner à la barre, a toutefois affirmé que la rencontre a duré cinq ou dix minutes avant l’arrivée des policiers. Selon les témoignages, un joggeur qui courait en sens contraire a forcé les marcheurs à se tasser les uns contre les autres lorsque le policier les a aperçus. Mme Bernard a soutenu que c’est son conjoint qui se trouvait au milieu du trio, et non elle, et que c’est donc lui qui aurait dû recevoir l’amende. Pour la juge Suzanne Bousquet, le fait que la rencontre était inopinée ne disculpe pas la défenderesse. « C’est quand même un rassemblement », a-t-elle affirmé. « Je ne suis pas sûre de vous croire », a-t-elle ajouté, soulignant « des petites divergences » entre ses explications et celles de son conjoint. Par contre, la place qu’elle occupait au sein du trio de marcheurs a été déterminante. « Votre témoignage soulève un doute raisonnable », a tranché la juge. Verdict : non coupable.

Procès à suivre… dans deux mois
L’histoire est en apparence toute simple, et pourtant, plus de trois heures de témoignage par une policière et les deux coaccusés dans cette cause n’ont pas suffi pour tirer l’affaire au clair. Diamant Berisha et Mohamed Bouchareb ont reçu une contravention pour rassemblement illégal, le 16 mai vers 22 h 50, alors qu’ils se trouvaient, selon les policiers, parmi un groupe de sept ou huit jeunes rassemblés en cercle, à « moins d’un bras de distance », près d’une voiture stationnée en double à contresens dans une rue résidentielle. Un sac de restauration rapide se trouvait au milieu du groupe. M. Bouchareb, qui n’avait pas de pièce d’identité lorsque les policiers lui ont demandé de s’identifier, a mal épelé son nom et a donné le mauvais mois de sa date de naissance, a témoigné la policière. Les défendeurs rétorquent que « l’erreur est humaine » et insistent : ils étaient bien à deux mètres de distance tout au long de leur rassemblement. Faute de temps pour entendre les plaidoiries, la juge Fannie Turcot a ordonné que l’audience se poursuive à une date qui a été fixée en mars. Les coaccusés comptent déposer une preuve vidéo provenant du téléphone d’un témoin, qui prouverait leur innocence. La juge a ordonné que les notes sténographiques complètes du procès soient produites pour faciliter la poursuite de l’audience. « Les défendeurs ont droit à une défense pleine et entière, a commenté la procureure de la Couronne Marie-Ève Tremblay à sa sortie de l’audience. Mais parfois, le temps anticipé pour la tenue de ces procès est beaucoup plus élevé que prévu. »

https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-02-08/covid-19/19-conda...

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