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Les idiots utiles de Poutine (Forum)

par Blake, mercredi 22 juin 2022, 21:20 (il y a 645 jours)

Il y a eu la Tchétchénie. La Syrie. La Crimée. Le monde a laissé faire. Il y a eu les dissidents empoisonnés. Les journalistes assassinés. La chape de plomb, de plus en plus écrasante, sur la Russie. Toujours, le monde a laissé faire.

La voilà maintenant en pleine lumière. Incontournable. Incontestable. La dérive totale et totalitaire de Vladimir Poutine. Cette fois, impossible de détourner le regard.

Depuis six semaines, des tanks russes roulent sur une nation souveraine au cœur de l’Europe. Les troupes de Poutine exécutent des hommes, violent des femmes, sèment le chaos, poussent des millions d’Ukrainiens à l’exil.

Et puis, il y a ce tournant. Les charniers. Les corps étendus dans les rues de Boutcha. Preuve ultime de la folie meurtrière de Poutine.

Évidemment, le Kremlin nie l’évidence. Il crie au canular et nous sert une propagande digne de l’époque de la guerre froide. Mais en fait, la désinformation russe n’a jamais connu de trêve.

Une fois de plus, Moscou nous offre une réalité parallèle, où l’envahisseur devient libérateur et où les Ukrainiens sont des nazis. C’est le monde à l’envers de Poutine, où l’opposition syrienne se bombarde elle-même et où les Casques blancs, ces sauveteurs syriens qui fouillent les décombres à la recherche de survivants, sont des terroristes d’Al-Qaïda…

Le pire, c’est qu’après toutes ces années, il y a encore des gens pour y croire – et pas seulement en Russie. Il y a encore des gens pour nier la réalité des massacres. Devant l’évidence, devant l’innommable, il s’en trouve pour temporiser, pour relativiser, pour semer le doute.

À l’époque de la guerre froide, les Soviétiques avaient une expression pour désigner les Occidentaux de gauche qui défendaient naïvement l’URSS : les idiots utiles.

Ces idiots sont toujours parmi nous. Mais par un de ces étranges revirements dont l’Histoire a le secret, on les retrouve désormais surtout à droite.

Depuis quelques années déjà, ils se font les porte-voix du Kremlin, subjugués par l’homme fort de Moscou. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, il faut dire, la plupart d’entre eux se gardent une petite gêne. Trop petite.

Il y a Donald Trump, bien sûr, pour qui l’invasion de l’Ukraine relève « du génie ». Il y a Steve Bannon, son ancien stratège, qui se réjouit du fait que Poutine soit un « anti-woke ».

Il y a Tucker Carlson, de Fox News, qui se demandait pourquoi, à la veille de l’invasion, il aurait dû détester le maître du Kremlin. « Est-ce que Poutine m’a déjà traité de raciste ? Est-ce qu’il fabrique du fentanyl ? Est-ce qu’il mange des chiens ? »

Poutine ne fait rien de tout ça, c’est vrai : il se contente d’assassiner ses opposants et de mener des guerres sanglantes. Tucker Carlson le sait parfaitement. Il joue au con. Et dans ce rôle, il se surpasse.

En ondes, l’animateur-vedette s’interroge sur la présence de laboratoires d’armes biologiques en Ukraine. Il dénonce les sanctions contre les oligarques.

Ah, bien sûr, il vous dira qu’il ne fait que poser des questions…

Le Kremlin, lui, trouve qu’il fait si bien son travail que, dans une note de service datée du 3 mars, il a exhorté les médias russes à « utiliser le plus possible des segments d’émission du populaire animateur de Fox News, Tucker Carlson ».

Dans les rangs de la guerre de propagande menée par la Russie, rarement a-t-on vu plus utile. Ou plus idiot, c’est selon.

Le Québec ne manque pas d’admirateurs de la Russie de Poutine. Entendu sur les ondes de Radio X, la semaine dernière : « Sont rough, les Russes. […] Ils ne sont pas wokes. Sont zéro wokes. C’est pas des memounes comme nous autres. C’est des vrais de vrais tough ! »

C’était avant la découverte des charniers de Boutcha, mais après cinq semaines de guerre en Ukraine. Comme si les paroles n’avaient pas de sens, pas de conséquences.

Il y a aussi tous ces apologistes qui trouvent des excuses à Poutine. C’est la faute de l’Occident ! Il n’avait qu’à ne pas l’humilier… C’est la faute de l’OTAN ! Elle n’avait qu’à ne pas tenter d’annexer l’Ukraine ! Comme si la vérité ne comptait plus.

Et puis, il y a ceux qui semblent plus prompts à s’indigner des boycotteurs de vodka que de la guerre elle-même. Ils s’alarment de la russophobie galopante. Comme si dénoncer Poutine relevait du racisme.

Dans Causeur, un magazine français d’extrême droite, Jérôme Blanchet-Gravel s’est inquiété le 21 mars des « va-t-en-guerre prêts à déclencher un nouveau conflit mondial ».

L’essayiste québécois a quitté son poste de chroniqueur à l’agence russe Sputnik au premier jour de la guerre en Ukraine. Mais il semble toujours se croire sur le payroll de ce média entièrement financé par l’État russe.

Dans Causeur, il raille les gens qui affichent le jaune et le bleu en signe de solidarité sur leurs réseaux sociaux, cette « nouvelle effusion de vertu aux couleurs d’une Ukraine qui n’intéressait personne avant l’invasion russe ».

Puis, ceci : « Cette nouvelle vague de vertu ostentatoire s’accompagne de tous les outils de censure et d’encadrement de la pensée qui ont vu le jour dans l’univers woke. »

Et voilà. Les méchants wokes. On y revient encore.

Tout ça fait le jeu du Kremlin. C’est le fruit d’une stratégie élaborée de longue date. Dans les guerres culturelles qui déchirent l’Occident, la Russie a choisi son camp. Elle ne ménage aucun effort pour séduire une certaine droite, en s’affichant comme le refuge anti-woke de la planète.

En 2021, la rédactrice en chef de RT, un autre organe de propagande du Kremlin, s’est vantée d’aider des familles américaines à déménager en Russie. Ces familles fuyaient supposément les États-Unis… à cause des théories wokes qu’on enseignait à leurs enfants, en classe !

Vladimir Poutine a lui-même récemment comparé le sort de la Russie, critiquée par l’Occident, à celui de J. K. Rowling, « annulée » en raison de ses opinions sur les transgenres.

Pensons-y un instant : un tyran sanguinaire s’est comparé à l’auteure de Harry Potter pendant que ses troupes pilonnaient des villes et tentaient de renverser le gouvernement démocratiquement élu d’Ukraine.

On nage en plein absurdistan.

À gauche aussi, on relativise. Après ma chronique sur le massacre de Boutcha, lundi, on m’a écrit : oui, mais les Palestiniens ? Oui, mais la Syrie ?

Eh, ce n’est pas un concours.

D’abord, on a couvert ces conflits, abondamment, à La Presse comme ailleurs. Mais surtout : tous les cadavres n’ont pas encore été ramassés des rues de Boutcha. En ce moment, des gens crèvent de faim à Marioupol. Des mères écrivent des numéros à appeler sur la peau de leurs bébés, au cas où elles mourraient dans leur fuite.

Ça se passe maintenant. Il faut en parler. Sans relativiser. Sans trouver d’excuses. Sans nier.

https://www.lapresse.ca/international/chroniques/2022-04-06/guerre-en-ukraine/les-idiot...

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