Morts comme des chiens (Forum)

par Jéromec, samedi 27 mai 2023, 18:18 (il y a 342 jours)

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/791522/chronique-morts-comme-des-chiens

Morts comme des chiens

l est commun de concevoir qu’en matière d’aide médicale à mourir, nous nous trouvons à la fine pointe de l’avant-garde. Au Québec, le recours à l’euthanasie légalisée est pratiqué, toutes proportions gardées, plus que dans n’importe quel autre pays du monde. Pour venir en renfort aux hôpitaux débordés et pour remédier au manque de places dans les maisons de soins palliatifs, des entreprises funéraires entendent désormais offrir aux patients de mourir directement chez elles. Pratique. Économisez temps et argent en vous trouvant déjà sur les lieux de votre embaumement.

Face aux récits répétés de tant de gens qui se plaignent d’avoir vu leurs proches être traités comme des chiens dans les derniers temps de leur vie, faut-il s’étonner de constater qu’une très large portion de la population québécoise souscrit à l’idée qu’elle pourra, au moins, décider d’échapper aux serres d’une mort déshumanisée ?

La réalisatrice et actrice Micheline Lanctôt vient de raconter comment son conjoint est mort à la suite d’un séjour dans un cadre hospitalier aux allures de foire tragique. Il y a quelques mois, Andrée Simard, héritière d’une puissante famille et veuve du premier ministre Robert Bourassa, est décédée à l’hôpital dans des conditions navrantes, en grande souffrance, privée pour ainsi dire de soins palliatifs. Si une telle fin est le lot d’individus bien en vue, quel sort attend les anonymes, les sans-grade, c’est-à-dire l’essentiel de la population ?

L’appui populaire accordé à l’aide médicale à mourir demande à être considéré sous l’éclairage des défaillances structurelles dont souffre notre système de santé. À certains égards, la mort planifiée prend l’allure d’un pis-aller. Que l’aide à mourir soit à ce point plébiscitée à l’heure où s’accumulent les ratés dans ce système rappelle en quelque sorte un vote de confiance aveugle offert par des militants à un chef capable de leur promettre néanmoins la lune, comme si de rien n’était. En considérant une situation désespérée, pour peu qu’elle soit habillée de paillettes dorées, ils croient possible d’oublier l’obscurité générale dans laquelle ils sont pourtant plongés.

Au 98,5 FM, l’ex-politicien Luc Ferrandez avançait l’autre matin, au micro de Paul Arcand, que l’extension de la pratique de l’aide médicale à mourir pourrait, à terme, libérer enfin l’État de la charge de vies jugées inutiles… Cette perspective s’imposera-t-elle en douce, bien qu’elle ait encore du mal à se nommer pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une infamie ?

Notre adhésion générale au principe de l’euthanasie manifeste en tout cas un nouveau rapport à l’idée de dignité, de liberté, de souffrance. Il est difficile de concevoir que ces perspectives ne sont pas teintées par le poids d’une société plus individualiste que jamais, où l’idée qu’une personne malade ou souffrante constitue une charge, un poids trop lourd pour les autres autant que pour les institutions. Ainsi, peut-être que ce qui nous apparaît comme libérateur n’est en fait qu’une soumission de plus à un système général qui carbure uniquement aux accomplissements de la productivité, de la rentabilité, de la consommation.

En tout cas, ce développement rapide d’un nouveau rapport à la mort ne va pas sans soulever plusieurs paradoxes. Comment expliquer les moyens que nous consacrons, par exemple, à la prévention du suicide, tandis que nous faisons preuve, par ailleurs, d’une adhésion quasi complète au respect de la volonté d’autres gens qui veulent échapper, non sans raison, eux aussi à la vie ? Nous réclamons le droit de mourir pour les vieux et les vulnérables, mais nous le refusons aux jeunes, aux actifs, aux productifs. Les dilemmes que pose cet écart sont importants.

L’aide médicale à mourir nous est parfois présentée comme une forme de solidarité suprême à l’égard de ceux qui sont en fin de vie. Mais est-ce bien le cas, quand on y songe, dans un système où tout craque, faute de moyens, au nom d’impératifs économiques qu’illustrent à l’infini les promesses inaccomplies des multiples réformes du réseau de la santé ?

Qu’est-ce qu’une bonne mort en société ? L’euthanasie désormais légitimée ne fait pas disparaître pour autant d’importantes fractures sociales. Chaque année, des gens continuent de mourir seuls, dans la plus parfaite indifférence. Ils meurent comme des chiens. Leur vie s’évanouit comme de la poussière balayée sous le tapis. Quantité de corps ne sont même pas réclamés. En collaboration avec les policiers, le coroner effectue des recherches pour les relier à leur communauté. Souvent en vain.

Quel genre de vie a été la vôtre, lorsqu’à son terme, personne ne s’intéresse ne serait-ce qu’à votre dépouille ? Dans quels quartiers ces gens ont-ils vécu ? Dans quelles conditions ? Au hasard, je note quelques-uns des noms de ces corps non réclamés, à mesure que défile, sous mes yeux, la longue liste :

Stéphane Bélanger, de Joliette. Mort le 22 mars 2023. Non réclamé.

Carole Leclerc, de Montréal. Morte le 29 septembre 2022. Non réclamé.

Steve Claveau, de Montréal. Mort le 16 octobre 2022. Non réclamé.

Jean-Marc Michaud, de Longueuil. Mort le 3 janvier 2023. Non réclamé.

David Sandoval. De nulle part, semble-t-il. Mort le 10 janvier, l’an passé. Non réclamé.

Ces gens avaient tous la cinquantaine. Ils sont morts, oubliés chacun dans leur coin.

À Québec, Gilles Kègle organise, avec une fondation qui porte son nom, des funérailles pour des corps dont personne n’a voulu prendre la charge. Il le fait aussi pour des familles à ce point dans le besoin qu’elles ne disposent même pas de quoi enterrer les leurs. À ce jour, sa fondation a pris en charge les funérailles de plus de mille corps. Mille morts dont la société ne s’est guère souciée des vies.

Comment une société se sort-elle de cette misère dont témoignent pareils abandons ? Quelles perspectives sociales nouvelles faut-il savoir insuffler pour que nous connaissions enfin plus de dignité collectivement, de notre vivant ?

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Morts comme des chiens

par Dédé ⌂ @, samedi 27 mai 2023, 20:25 (il y a 342 jours) @ Jéromec

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/791522/chronique-morts-comme-des-chiens

Morts comme des chiens

l est commun de concevoir qu’en matière d’aide médicale à mourir, nous nous trouvons à la fine pointe de l’avant-garde. Au Québec, le recours à l’euthanasie légalisée est pratiqué, toutes proportions gardées, plus que dans n’importe quel autre pays du monde. Pour venir en renfort aux hôpitaux débordés et pour remédier au manque de places dans les maisons de soins palliatifs, des entreprises funéraires entendent désormais offrir aux patients de mourir directement chez elles. Pratique. Économisez temps et argent en vous trouvant déjà sur les lieux de votre embaumement.

Face aux récits répétés de tant de gens qui se plaignent d’avoir vu leurs proches être traités comme des chiens dans les derniers temps de leur vie, faut-il s’étonner de constater qu’une très large portion de la population québécoise souscrit à l’idée qu’elle pourra, au moins, décider d’échapper aux serres d’une mort déshumanisée ?

La réalisatrice et actrice Micheline Lanctôt vient de raconter comment son conjoint est mort à la suite d’un séjour dans un cadre hospitalier aux allures de foire tragique. Il y a quelques mois, Andrée Simard, héritière d’une puissante famille et veuve du premier ministre Robert Bourassa, est décédée à l’hôpital dans des conditions navrantes, en grande souffrance, privée pour ainsi dire de soins palliatifs. Si une telle fin est le lot d’individus bien en vue, quel sort attend les anonymes, les sans-grade, c’est-à-dire l’essentiel de la population ?

L’appui populaire accordé à l’aide médicale à mourir demande à être considéré sous l’éclairage des défaillances structurelles dont souffre notre système de santé. À certains égards, la mort planifiée prend l’allure d’un pis-aller. Que l’aide à mourir soit à ce point plébiscitée à l’heure où s’accumulent les ratés dans ce système rappelle en quelque sorte un vote de confiance aveugle offert par des militants à un chef capable de leur promettre néanmoins la lune, comme si de rien n’était. En considérant une situation désespérée, pour peu qu’elle soit habillée de paillettes dorées, ils croient possible d’oublier l’obscurité générale dans laquelle ils sont pourtant plongés.

Au 98,5 FM, l’ex-politicien Luc Ferrandez avançait l’autre matin, au micro de Paul Arcand, que l’extension de la pratique de l’aide médicale à mourir pourrait, à terme, libérer enfin l’État de la charge de vies jugées inutiles… Cette perspective s’imposera-t-elle en douce, bien qu’elle ait encore du mal à se nommer pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une infamie ?

Notre adhésion générale au principe de l’euthanasie manifeste en tout cas un nouveau rapport à l’idée de dignité, de liberté, de souffrance. Il est difficile de concevoir que ces perspectives ne sont pas teintées par le poids d’une société plus individualiste que jamais, où l’idée qu’une personne malade ou souffrante constitue une charge, un poids trop lourd pour les autres autant que pour les institutions. Ainsi, peut-être que ce qui nous apparaît comme libérateur n’est en fait qu’une soumission de plus à un système général qui carbure uniquement aux accomplissements de la productivité, de la rentabilité, de la consommation.

En tout cas, ce développement rapide d’un nouveau rapport à la mort ne va pas sans soulever plusieurs paradoxes. Comment expliquer les moyens que nous consacrons, par exemple, à la prévention du suicide, tandis que nous faisons preuve, par ailleurs, d’une adhésion quasi complète au respect de la volonté d’autres gens qui veulent échapper, non sans raison, eux aussi à la vie ? Nous réclamons le droit de mourir pour les vieux et les vulnérables, mais nous le refusons aux jeunes, aux actifs, aux productifs. Les dilemmes que pose cet écart sont importants.

L’aide médicale à mourir nous est parfois présentée comme une forme de solidarité suprême à l’égard de ceux qui sont en fin de vie. Mais est-ce bien le cas, quand on y songe, dans un système où tout craque, faute de moyens, au nom d’impératifs économiques qu’illustrent à l’infini les promesses inaccomplies des multiples réformes du réseau de la santé ?

Qu’est-ce qu’une bonne mort en société ? L’euthanasie désormais légitimée ne fait pas disparaître pour autant d’importantes fractures sociales. Chaque année, des gens continuent de mourir seuls, dans la plus parfaite indifférence. Ils meurent comme des chiens. Leur vie s’évanouit comme de la poussière balayée sous le tapis. Quantité de corps ne sont même pas réclamés. En collaboration avec les policiers, le coroner effectue des recherches pour les relier à leur communauté. Souvent en vain.

Quel genre de vie a été la vôtre, lorsqu’à son terme, personne ne s’intéresse ne serait-ce qu’à votre dépouille ? Dans quels quartiers ces gens ont-ils vécu ? Dans quelles conditions ? Au hasard, je note quelques-uns des noms de ces corps non réclamés, à mesure que défile, sous mes yeux, la longue liste :

Stéphane Bélanger, de Joliette. Mort le 22 mars 2023. Non réclamé.

Carole Leclerc, de Montréal. Morte le 29 septembre 2022. Non réclamé.

Steve Claveau, de Montréal. Mort le 16 octobre 2022. Non réclamé.

Jean-Marc Michaud, de Longueuil. Mort le 3 janvier 2023. Non réclamé.

David Sandoval. De nulle part, semble-t-il. Mort le 10 janvier, l’an passé. Non réclamé.

Ces gens avaient tous la cinquantaine. Ils sont morts, oubliés chacun dans leur coin.

À Québec, Gilles Kègle organise, avec une fondation qui porte son nom, des funérailles pour des corps dont personne n’a voulu prendre la charge. Il le fait aussi pour des familles à ce point dans le besoin qu’elles ne disposent même pas de quoi enterrer les leurs. À ce jour, sa fondation a pris en charge les funérailles de plus de mille corps. Mille morts dont la société ne s’est guère souciée des vies.

Comment une société se sort-elle de cette misère dont témoignent pareils abandons ? Quelles perspectives sociales nouvelles faut-il savoir insuffler pour que nous connaissions enfin plus de dignité collectivement, de notre vivant ?

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Mort abandonné ou avec popularité, rendu là je m'en contrefiche...genre ! :D

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