Cet amour, cette souffrance, cette volonté, ces alternatives d'accablement et d'orgueil, ces tragédies intérieures se retrouvent dans les grandes oeuvres écrites en 1802: la Sonate avec marche funèbre, op. 26, la Sonate quasi una fantasia, et la Sonate dite du Clair de lune, op. 27, la Deuxième Sonate, op. 31, avec ses récitatifs dramatiques, qui semblent un monologue grandiose et désolé; la Sonate en ut mineur pour violon, op. 30, dédiée à l'empereur Alexandre; la Sonate à Kreutzer, op. 47; les six héroïques et poignantes mélodies religieuses sur des paroles de Gellert, op. 48........ La Seconde Symphonie, qui est de 1803, reflète davantage son juvénile amour; et l'on sent que sa volonté prend décidément le dessus. Une force irrésistible balaye les tristes pensées. Un bouillonnement de vie soulève le finale. Beethoven veut être heureux; il ne veut pas consentir à croire son infortune irrémédiable : il veut la guérison, il veut l'amour; il déborde d'espoir.... Il n'abandonne pas malgré tout ....et toutes ces émotions sont palpables dans sa musique...on les ressent si bien !!!... Beethoven travaillait sur sa 5ème symphonie quand il l'interrompit brusquement pour écrire d'un jet, sans ses esquisses habituelles, la Quatrième Symphonie. Le bonheur lui était apparu. Thérèse von Brunswick aimait depuis longtemps, depuis que, petite fille, elle prenait avec lui des leçons de piano, dans les premiers temps de son séjour à Vienne. Beethoven était ami de son frère, le comte François. En 1806, il fut leur hôte à Mârtonvàsàr en Hongrie, et c'est là qu'ils s'aimèrent. Le souvenir de ces jours heureux s'est conservé dans quelques récits de Thérèse de Brunswick « Un soir de dimanche, dit-elle, après dîner, au clair de lune, Beethoven s'assit au piano. D'abord il promena sa main à plat sur le clavier. François et moi nous connaissions cela. C'était ainsi qu'il préludait toujours. Puis il frappa quelques accords sur les notes basses; et, lentement, avec une solennité mystérieuse, il joua un chant de Sébastien Bach... « Si tu veux me donner ton coeur, que ce soit d'abord en secret ; et notre pensée commune, que nul ne la puisse deviner. » Ma mère et le curé s'étaient endormis ; mon frère regardait devant lui, gravement; et moi, que son chant et son regard pénétraient, je sentis la vie en sa plénitude. Le lendemain matin, nous nous rencontrâmes dans le parc. Il me dit : « J'écris à présent un opéra. La principale figure est en moi, devant moi, partout où je vais, partout où je reste. Jamais je n'ai été à une telle hauteur. Tout est lumière, pureté, clarté... Jusqu'à présent, je ressemblais à cet enfant des contes de fée qui ramasse les cailloux, et ne voit pas la fleur splendide, fleurie sur son chemin.... » C'est au mois de mai 1806, que je devins sa fiancée, avec le seul consentement de mon bien-aimé frère François. » La Quatrième Symphonie, écrite cette année-là, est une pure fleur, qui garde le parfum de ces jours les plus calmes de sa vie. On y a justement remarqué « la préoccupation de Beethoven, alors, de concilier autant que possible son génie avec ce qui était généralement connu et aimé dans les formes transmises par ses prédécesseurs ». Le même esprit conciliant, issu de l'amour, agissait sur ses manières et sur sa façon de vivre. lgnaz von Seyfried et Grillparzer disent qu'il est plein d'entrain, vif, joyeux, spirituel, courtois dans le monde, patient avec les importuns, vêtu de façon recherchée ; et il leur fait illusion, au point qu'ils ne s'aperçoivent pas de sa surdité, et disent qu'il est bien portant, sauf sa vue qui est faible . C'est aussi l'idée que donne de lui un portrait d'une élégance romantique et un peu apprêtée, que peignit alors Maehler. Beethoven veut plaire, et il sait qu'il plaît. Le lion est amoureux : il rentre ses griffes. Mais on sent sous ses jeux, sous les fantaisies et la tendresse même de la Symphonie en si bémol, la redoutable force , l'humeur capricieuse, les boutades colériques... Cette paix profonde ne devait pas durer; mais l'influence bienfaisante de l'amour se prolongea jusqu'en 1810. Beethoven lui dut sans doute la maîtrise de soi, qui fit alors produire à son génie ses fruits les plus parfaits : cette tragédie classique, la Symphonie en ut mineur(5eme), et ce divin rêve d'un jour d'été : la Symphonie pastorale (6eme)(1808) L'Appassionata, inspirée de la Tempête de Shakespeare , et qu'il regardait comme la plus puissante de ses sonates, paraît en 1807, et est dédiée au frère de Thérèse. A Thérèse elle-même il dédie la rêveuse et fantasque sonate, op. 18 (1809). Une lettre, sans dates, et adressée A l'immortelle Bien-Aimée exprime, non moins que l'Appassionata, l'intensité de son amour : « Mon ange, mon tout, mon moi... j'ai le coeur gonflé du trop que j'ai à te dire... Ah ! où je suis, tu es aussi avec moi... Je pleure, quand je pense que tu ne recevras probablement pas avant dimanche les premières nouvelles de moi. Je t'aime, comme tu m'aimes, mais bien plus fort... Ah! Dieu ! Quelle vie ainsi ! Sans toi ! Si près, si loin. ... Mes idées se pressent vers toi, mon immortelle aimée ( meine unsterbliche Geliebte), parfois joyeuses, puis après tristes, interrogeant le destin, lui demandant s'il nous exaucera. Je ne puis vivre qu'avec toi, ou je ne vis pas... Jamais une autre n'aura mon coeur . Jamais! Jamais ! 0 Dieu ! pourquoi faut-il s'éloigner quand on s'aime ? Et pourtant ma vie, comme elle est à présent, est une vie de chagrins. Ton amour m'a fait à la fois le plus heureux et le plus malheureux des hommes. ... Sois paisible..., sois paisible aime-moi ! Aujourd'hui, hier, quelle ardente aspiration, que de larmes vers toi ! toi , toi ma vie mon tout ! Adieu ! oh ! continue de m'aimer, ne méconnais jamais le coeur de ton aimé L. Éternellement à toi éternellement à moi éternellement à nous » Quelle raison mystérieuse empêcha le bonheur de ces deux êtres qui s'aimaient ? Peut-être le manque de fortune, la différence de conditions. Peut-être Beethoven se révolta-t-il contre la longue attente qu'on lui imposait, et contre l'humiliation de tenir son amour indéfiniment secret... Peut-être, violent, malade et misanthrope, comme il était, fit-il souffrir sans le vouloir celle qu'il aimait, et s'en désespérait-il. L'union fut rompue ! et pourtant ni l'un ni l'autre ne semble avoir jamais oublié son amour. Jusqu'à son dernier jour ... (elle ne mourut qu'en 1861)... Thérèse de Brunswick aima Beethoven... Et Beethoven disait, en 1816 : « En pensant à elle, mon coeur bat aussi fort que le jour où je la vis pour la première fois. » De cette même année sont les six mélodies à la bien-aimée lointaine ( an die ferne Geliebte), op. 98, d'un caractère si touchant et si profond. Il écrit dans ses notes : « Mon coeur déborde à l'aspect de cette admirable nature... et pourtant... Elle n'est pas là, près de moi! » Thérèse avait donné son portrait à Beethoven, avec la dédicace : « Au rare génie, au grand artiste, à l'homme bon. T. B. ». Dans la dernière année de sa vie, un ami surprit Beethoven, seul, embrassant ce portrait en pleurant, et parlant tout haut suivant son habitude : « Tu étais si belle, si grande, pareille aux anges ! » L'ami se retira, revint un peu plus tard, le trouva au piano, et lui dit : « Aujourd'hui,mon vieil ami, il n'y a rien de diabolique sur votre visage. » Beethoven répondit : « C'est que mon bon ange m'a visité. » La blessure fut profonde. « Pauvre Beethoven, dit-il lui–même, il n'est point de bonheur pour toi dans ce monde. Dans les régions de l'idéal seulement, tu trouveras des amis »... Il écrit dans ses notes : « Soumission, soumission profonde à ton destin : tu ne peux plus exister pour toi, mais seulement pour les autres; pour toi, il n'y a plus de bonheur qu'en ton art. 0 Dieu, donne-moi la force de me vaincre ! » Il est donc abandonné par l'amour. à suivre: Biographie... suite 4 |