Les grandes chaînes d’alimentation en profite$ t-elle? (Forum)

par Jéromec, lundi 31 octobre 2022, 07:05 (il y a 572 jours) @ Dédé

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1925691/inflation-epicerie-prix-aliment-profit
Les grandes chaînes d’alimentation s’en mettent-elles plein les poches?


Élise Madé
Publié le 19 octobre 2022
Alors que le prix du panier d’épicerie a augmenté de 10,8 % au cours de la dernière année, les profits des grandes chaînes d’alimentation ont plus que doublé, selon une récente étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). L’épicerie a posé la question à des économistes afin de savoir si ces détaillants n’auraient pas profité de la situation.

« On s'est posé cette question : est-ce qu'il n'y aurait pas eu, d'une certaine façon, un opportunisme de la part des commerçants, qui auraient augmenté les prix un petit peu plus que nécessaire afin d'accroître leur marge de profit? » explique Pierre-Antoine Harvey, économiste et chercheur associé à l’IRIS.

C'est là une conclusion que semble partager une grande majorité de la population canadienne : un récent sondage de la firme Angus Reid* montre en effet que près de 80 % de la population du pays pense que les supermarchés ont profité de l’inflation pour augmenter leurs profits.

Les chiffres généraux démontrent qu'il y a peut-être une part de responsabilité de la part des entreprises, et si ce n'est pas le cas, il faudrait qu'elles en fassent la démonstration, pense le chercheur Pierre-Antoine Harvey.

Cette démonstration, les grandes chaînes de marchés d’alimentation n’ont pas souhaité la faire pour L’épicerie. En effet, elles ont toutes refusé nos demandes d’entrevue et nous ont plutôt suggéré de nous adresser au Conseil canadien du commerce de détail.

Un commis dans la section des fruits et légumes d'une épicerie.
Selon l’IRIS, les magasins d'alimentation au Canada ont plus que doublé leur marge de bénéfice et ont encaissé plus de 3,6 milliards de dollars de bénéfice supplémentaire depuis 2020.


Faibles marges, mais profits élevés
Selon Michel Rochette, président du bureau du Québec du Conseil canadien du commerce de détail, les grandes chaînes ont effectivement augmenté leurs ventes, mais elles ont aussi eu beaucoup de dépenses dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre.


Les profits sont restés à peu près inchangés depuis au moins trois ou quatre ans. Les marges de profit dans les supermarchés oscillent entre 1 et 4 % depuis plusieurs années, explique-t-il.

Ce n’est pas surprenant que les gens aient montré du doigt les épiciers, estime Michel Rochette. Mais on sait que les marges de profit n'ont pas augmenté depuis des années. C'est normal que les gens aient un regard plus sévère envers les épiciers, mais c'est parce que c'est un [service] qu'ils utilisent plus que les autres.

Si les marges de profit des magasins d’alimentation sont faibles, leurs profits nets restent élevés : selon l’IRIS, ces commerces ont plus que doublé leur marge de bénéfice et ont encaissé plus de 3,6 milliards de dollars de bénéfices supplémentaires au pays depuis 2020.

Ces bénéfices pourraient cependant provenir des biens immobiliers et des pharmacies que Sobey’s, Loblaw ou Metro possèdent.

Peut-être que les entreprises font du profit dans leurs autres activités, mais elles n'en profitent pas pour [...] baisser leurs prix dans l'alimentation, comme ça devrait être le cas, parce que c'est là qu'elles sont supposément en concurrence les unes contre les autres, explique Pierre-Antoine Harvey, de l’IRIS.

Vers une baisse des prix?
Selon Sylvain Charlebois, du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, les grandes chaînes n’ont pas avantage à trop moduler leurs prix. Ces entreprises savent que diminuer les prix, c'est très facile, mais augmenter les prix après une diminution, ce n'est pas facile. On risque de perdre des parts de marché, on risque de faire peur à la clientèle. Alors elles font attention avant de jouer avec les prix.

« On n'a pas pu démontrer hors de tout doute qu'il y avait des pratiques douteuses au détail. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas ailleurs. »

— Une citation de Sylvain Charlebois, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Université Dalhousie
En Europe, de grandes enseignes telles que Carrefour ou Leclerc ont déjà commencé à geler, voire à baisser les prix de certains produits essentiels. Elles s’engagent ainsi à réduire leurs marges de profit pour venir en aide aux consommateurs.

Au Canada, Loblaw et Metro ont annoncé qu'elles gèleront les prix de plusieurs produits de marques maison et privées pour un certain temps.

DE MOINS EN MOINS DE RABAIS
Depuis quelques années, les promotions se font de plus en plus rares dans les épiceries. Les données de la firme d’analyse NielsenIQ Canada montrent que depuis l’an dernier, les épiceries proposent moins de soldes pour les fruits, les légumes, les aliments surgelés, les aliments préparés, les produits de boulangerie, les produits non alimentaires ainsi que les produits de beauté et de santé. Un tel phénomène n’avait pas été observé depuis 2008.

Manque de concurrence
Au Canada, contrairement aux États-Unis, seulement trois grandes chaînes d’alimentation se partagent 60 % des parts de marché. Si on ajoute Walmart et Costco, on arrive à 80 % du marché de l’alimentation au pays.

Un graphique montre les principaux joueurs dans le domaine de l'alimentation au Canada, soit Loblaw, Sobeys, Metro, Costco et Walmart.
Au Canada, Loblaw, Sobeys, Metro, Walmart et Costco se partagent 80 % des parts du marché de l'alimentation.


Dans les grandes villes, on trouve les cinq grandes chaînes d'alimentation. Mais dès qu'on sort en région, dans les plus petites villes, on va peut-être trouver un ou deux commerces d'alimentation, explique Pierre-Antoine Harvey.


Trois transactions majeures successives ont réduit la concurrence : l’achat de Provigo par Loblaw en 1998, l’achat de A&P par Metro en 2005 et l’achat de Safeway par Sobeys en 2013.

Sylvain Charlebois s’inquiète de ce manque de concurrence. Ces trois transactions nous ont mené à l'oligopole qu'on a aujourd'hui, et moi, je remettais en question ces trois transactions qui ont octroyé à trois gros joueurs beaucoup plus de pouvoir de négociation , dit-il.

Comment payer moins?
Récemment, le magazine Protégez-vous a recensé plus de 6000 prix dans six grandes chaînes établies à Montréal, à Québec et à Sherbrooke afin de savoir quelle épicerie offre le panier le moins cher.

Une couverture du magazine « Protégez-vous » porte la mention « Le panier le moins cher ».
Le magazine « Protégez-vous » a publié les résultats d'une enquête dans laquelle il a compare le prix du panier d'épicerie dans six grandes chaînes québécoises.

PHOTO : RADIO-CANADA / L'ÉPICERIE

La moins chère, c'est Super C. C'est là qu'on trouve différents aliments comme les fruits, les légumes et les viandes à moindre coût. On a aussi Walmart qui se débrouille très bien. Maxi n'est pas très loin derrière, conclut Amélie Cléroux, journaliste à Protégez-vous.

Le choix d’une épicerie permet de faire des économies substantielles : une famille de quatre personnes qui dépense chaque semaine 265 $ peut économiser plus de 2000 $ par année si elle fait ses achats au Super C ou chez Walmart et si elle se procure les articles les moins chers.

L’exercice du magazine Protégez-vous permet aussi de conclure que le fait de se rendre dans plusieurs magasins à la recherche de rabais n’est pas avantageux. Ça ne fait pas une grande différence. On a fait l'exercice. Par rapport à notre panier économique de Super C, on a obtenu une économie de 5 $, affirme Amélie Cléroux.

Le rôle du gouvernement
Un rôle accru du gouvernement pour assurer une meilleure concurrence, c’est une des solutions que préconisent les chercheurs Pierre-Antoine Harvey et Sylvain Charlebois. Il faudrait mieux outiller le Bureau de la concurrence du Canada, qui s'occupe de surveiller la concentration des marchés.

Il nous faut aussi un code de pratiques avec le rôle de l’État. Et finalement, il faudrait qu'il y ait une veille stratégique pour vérifier les prix de façon spontanée, ajoute Sylvain Charlebois.

Le 17 octobre, la Chambre des communes a réclamé à l’unanimité une enquête sur les profits des grandes chaînes d’épicerie. Le Bureau de la concurrence devra faire la lumière sur l’inflation et sur l’augmentation du coût des produits d'épicerie. Les élus réclament des lois plus sévères sur la fixation des prix.

À quoi s’attendre au cours des prochains mois?
Michel Rochette, président du bureau du Québec du Conseil canadien du commerce de détail, estime qu’on devrait s’attendre à une diminution des prix avec le cours normal de l'économie actuelle.

De son côté, Pierre-Antoine Harvey ne croit pas que les grandes chaînes diminueront leurs prix. Plusieurs facteurs vont pousser à une augmentation ou, du moins, à un maintien des prix élevés de l'alimentation. Je pense que le gouvernement doit commencer à réfléchir à des manières d'intervenir pour améliorer l'accès à l'alimentation.

Une femme tient une facture d'épicerie dans ses mains.
Le prix du panier d’épicerie a subi une augmentation de 10,8 % au cours de la dernière année, selon Statistique Canada.

PHOTO : RADIO-CANADA / L'ÉPICERIE

Malgré l’augmentation des prix, le Canada reste tout de même privilégié en matière d'accès à des produits alimentaires, estime Sylvain Charlebois.

Oui, on a le droit d'être frustrés, fâchés et même inquiets des prix qui augmentent à l'épicerie. Mais en même temps, je pense que les Canadiens ont accès à des produits sains, à des produits de bonne qualité qui ne sont relativement pas chers comparativement à d'autres économies dans le monde, conclut Sylvain Charlebois.

Avec les informations d’Annette Gonthier


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