Chloroquine: Les malades ne veulent plus participer. (Forum)
Les malades ne veulent plus participer à la recherche sur la chloroquine.
Le buzz sur la chloroquine freine l'essai clinique européen Discovery.
L'espoir qu'a fait naître l'infectiologue Didier Raoult dissuade certains malades de participer aux recherches scientifiques lancées pour trouver un traitement efficace contre le coronavirus.
Le buzz sur la chloroquine freine l'essai clinique européen Discovery
C’est un effet pervers et inattendu de l’actuel engouement pour la chloroquine : l’écho médiatique mondial rencontré (en dépit d’une méthodologie très discutable) par l’étude clinique réalisée par l’infectiologue et directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Didier Raoult, entrave les recherches scientifiques en cours pour trouver un traitement efficace contre le Covid-19. Occupés depuis dimanche à recruter les 800 patients français (sur 3 100 Européens) destinés à participer à l’essai clinique européen Discovery, les infectiologues de Bichat se sont heurtés au refus de plusieurs malades. «Il y a un tel tapage médiatique irrationnel que certains patients refusent d’être enrôlés dans l’essai Discovery parce qu’ils ne veulent pour traitement que de l’hydroxychloroquine, peste le professeur Xavier Lescure, infectiologue à Bichat. Malgré tout le respect que j’ai pour lui, Raoult gêne la réalisation d’une recherche méthodologique robuste. On ne peut colporter des certitudes et jouer avec l’espoir des gens. Il nous fait perdre du temps.»
D’abord écartée de l’essai Discovery, l’hydroxychloroquine y a été intégrée après le changement de pied de l’Organisation mondiale de la santé qui, il y a quinze jours, l’a rangé dans sa liste des traitements prioritaires. Pourquoi, dès lors, une telle réticence des patients ? Question de probabilité.
«Les refus viennent aussi des médecins»
Discovery se décompose en cinq groupes de patients : le premier groupe témoin ne reçoit que le traitement normal (oxygénation, ventilation…), les quatre autres groupes se voient administrer des substances ayant fait leur preuve lors d’épidémies précédentes : du Remdivisir, antiviral injectable utilisé contre Ebola, pour l’un ; du Kaletra, traitement anti-VIH, pour le deuxième ; du Kaletra et un interféron bêta, molécule naturellement produite par le système immunitaire, pour le suivant ; seul le cinquième groupe reçoit de l’hydroxychloroquine. «Les patients n’ont du coup que 20% de chances de se voir administrer de l’hydroxychloroquine, et cela ne leur convient pas !» s’agace Lescure.
Directeur du consortium REACting de réponse aux maladies infectieuses qui coordonne l’essai clinique européen, le professeur Yasdan Yasdanpanah dit aussi sa stupéfaction : «Les refus viennent des patients mais aussi de leurs médecins !» Une attitude d’autant plus incompréhensible pour l’infectiologue de Bichat que les études sont très loin de prouver l’efficacité de la chloroquine : «In vitro, dans les tubes à essai, tous les traitements marchent contre le Covid», insiste-t-il. Pour nombre d’infectiologues, la prudence est donc de mise.
Les résultats d’une étude clinique chinoise conduite par des chercheurs du département d’infectiologie du centre clinique de santé publique de Shanghai les confortent dans cette attitude : publiée le 3 mars dans the Journal of ZheJiang University (accessible en ligne), elle indique que «la dose standard d’hydroxychloroquine ne montre pas de signes cliniques statistiquement significatifs dans l’amélioration des symptômes des sujets ou l’accélération de la suppression du virus»…
«Objectif»
Le professeur Yasdanpanah balaye la polémique : «On respecte les refus et je serais le premier heureux que l’hydroxychloroquine fonctionne.» Pour lui, l’essentiel est ailleurs. «En trois jours, nous avons inclus 51 patients dans Discovery. Il y a tellement de malades que l’on avance tout de même vite.» Cinq centres de recrutement sont désormais ouverts, à Bichat mais aussi à Lille, Strasbourg, Lyon et Nantes. D’autres le seront prochainement à Paris, Metz, et Annecy, ville très touchée par le Covid-19. «Notre objectif est de trouver un traitement qui évite bien sûr le décès mais aussi le placement en réanimation, insiste le chef du service des maladies infectieuses de Bichat. Pour ce faire, on ne peut pas seulement viser la diminution de la charge virale, puisqu’au bout de sept à dix jours l’état de certains patients s’aggrave alors même qu’ils semblent avoir maîtrisé le virus.» Et de conclure : «Les gens ont besoin d’espoir. Mais les scientifiques se doivent de rester rigoureux.»
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