Les dérives de Legault (Forum)
ChroniqueOverdose d’arcs-en-ciel
Patrick LagacéLa Presse
Cher lecteur amateur d’arcs-en-ciel,
Cette chronique s’adresse à toi.
Pas aux politiciens qui nous dirigent, pas au « système », pour une fois.
À toi.
Plus particulièrement à toi qui m’écris immanquablement depuis le début de cette crise pour me dire que je ne suis pas constructif, que je suis négatif, qu’il ne faut pas critiquer, que ce n’est pas le temps de souligner quelque dysfonction que ce soit dans notre système de santé…
Comme mardi, après ma chronique (1) que tu n’as pas aimée, car il faut être « positif » !
Cher lecteur qui ne veut lire que du « Ça va bien aller » et qui ne veut voir que des arcs-en-ciel, donc…
Tu fais partie du problème.
Le Québec est l’épicentre de la pandémie canadienne de coronavirus. Montréal est une « anomalie tragique » dans un pays qui commence à aplatir sa courbe d’infections, selon les mots du Globe and Mail (2).
Chaque jour, nous sommes les champions canadiens des nouvelles infections (910, hier) et des nouveaux décès (112, hier) et je sens que c’est accueilli comme un bulletin météo un peu pluvieux. Sur les 4000 morts canadiens depuis le début de la pandémie, 2500 sont des Québécois.
Des résidences où on est censé prendre soin de nos vieux sont des foyers d’éclosion meurtriers, des foyers d’éclosion uniques au Canada encore une fois. Ceux-là sont en déficit tragique de personnel.
Plus de 11 000 « anges gardiens » manquent à l’appel, malades ou trop effrayés par le coronavirus pour se présenter au travail. On doit appeler l’armée. Et quand une de ces soignantes est infectée en allant prêter main-forte dans un CHSLD, le réflexe de son employeur est de lui retirer sa chambre d’hôtel payée (3)…
Le Québec est l’endroit le plus touché par le coronavirus au Canada… Et c’est en même temps l’endroit le plus pressé de commencer le déconfinement.
Notre empressement à déconfiner est sans égal au Canada. Ailleurs au pays, cet empressement est vu comme une sorte de « folie ».
Les experts de l’Institut national de santé publique (INSPQ) ont publié une critique à peine voilée des motivations présentées par l’État pour justifier le déconfinement des enfants, la semaine passée, ce qui peut légitimement soulever la question de la véritable place de la science dans la prise des décisions de déconfinement…
Des chercheurs dénoncent l’opacité du gouvernement du Québec face aux données qui guident ses décisions, ce qui pose la question de la qualité des données qui guident les décisions du gouvernement.
Une des clés pour endiguer le coronavirus est la rapidité des efforts pour retracer les contacts récents d’une personne infectée. À Montréal, pourtant, on entre à la mitaine des données sur la foi d’informations reçues par… fax (4). Comme en 2001.
Et il ne faudrait pas poser de questions ?
Il ne faudrait pas soulever ces travers, il ne faudrait pas nommer les dysfonctions du système, il ne faudrait pas s’étonner des volte-face de nos dirigeants et de leurs directives superbement ignorées par la machine ?
Si vous pensez ça : vous faites partie du problème.
Votre docilité fait partie du problème.
Je l’ai déjà écrit : nous nous accommodons de la médiocrité (5). Et actuellement, le système de santé offre une réponse médiocre aux défis de la pandémie.
Le système de santé, avec ses patentes à ACRONYMES, ne mérite pas le dévouement héroïque des soignants. Quand le système méprise ses soignants, la moindre des choses est de le dire.
Ce n’est pas nouveau. C’est juste plus évident en temps de pandémie.
On dit de cette crise qu’elle expose les failles des systèmes. On dit ça ici, on dit ça ailleurs.
Je pense qu’il en va des peuples, aussi. Ça fait 40 ans au moins que le système de santé québécois prend l’eau. Et on s’en accommode, on s’en accommode très bien.
Pour les urgences urgentes-urgentes, ça va. Accident de voiture, cancer du côlon, infarctus : nous sommes généralement sur la coche.
Pour le reste, c’est une autre histoire. Vous le savez.
La Presse, l’autre jour, a titré ceci : « Hôpitaux : Québec met de l’ordre dans les urgences »…
L’autre jour ?
Oui, « l’autre jour », mais je vous ai joué un tour : c’était le mardi 11 mars 1980, je voulais juste vous rappeler à quel point ça fait longtemps que ça bogue. Depuis avant la prolifération du fax.
René Lévesque était premier ministre du Québec.
Après, il y a eu Robert Bourassa 2.0. Après, Jacques Parizeau. Et Lucien Bouchard. Et Jean Charest. Et Pauline Marois. Et Philippe Couillard.
À chaque élection, la santé fut une « priorité » pour ceux qui voulaient nos votes.
Pour ma part, je refuse de blâmer un politicien, un parti, un gouvernement en particulier pour les dérives du système. C’est une responsabilité partagée. J’ai essayé de faire la part des choses là-dessus depuis le début de la pandémie. Ce serait injuste de dire que le gouvernement caquiste a tous les torts : il a hérité d’un système construit et rabiboché depuis 40 ans.
Mais qui a voté pour ces gens-là ?
Nous. Nous tous. Depuis 40 ans.
Nous avons accepté ça, ce système avec ses inefficacités qui ne sont pas différentes en cette période pandémique, elles sont juste plus apparentes, plus fâchantes.
Chaque jour, au moins une centaine de nouveaux décès nous est annoncée au point de presse de 13 h. Je refuse de même considérer que ce sont pour la majorité des vieux, pour la majorité des gens qui allaient mourir dans 3, 6, 12 mois. Comme si c’était moins grave.
Ce sont des Québécois, et ils sont morts avant leur temps. Leur famille a été privée de ces moments de grâce qui précèdent le décès, quand on peut dignement faire ses adieux. C’est une tragédie. C’est une tragédie québécoise.
Le cr*** de minimum est de poser quelques questions, de laisser filtrer un peu d’indignation de temps en temps… Tout en parlant des belles histoires de cette sale époque (6).
Je vais continuer à le faire.
Et si tu fais partie des lecteurs obnubilés par les arcs-en-ciel et les « Ça va bien aller », je suggère de passer par-dessus ma chronique et d’aller regarder des reprises de Passe-Partout.
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