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Covid-19: Le faux fantasme de la Suède. (Forum)

par Blake, dimanche 11 octobre 2020, 00:28 (il y a 1512 jours)

Lâchez-nous avec la Suède !


Mais on n’en parle plus avec une admiration insouciante comme autrefois, en évoquant les succès de leur modèle social-démocrate ou d’IKEA…

On en parle désormais avec triomphalisme, parmi ceux qui s’opposent aux mesures prises pour lutter contre la pandémie. Y compris au Québec.

Du genre : là-bas, ils se tiennent debout, mais pas ici, car nous n’avons rien compris.

Le discours est séduisant, mais il ne tient pas la route.

Permettez-nous ici de tenter de remettre les pendules à l’heure.


C’est vrai, le port du masque n’est pas obligatoire dans ce pays scandinave.

C’est aussi vrai, il n’y a pas eu de confinement le printemps dernier ; on a plutôt fortement encouragé les personnes âgées à s’isoler et le reste de la population à limiter ses contacts.

Mais sinon, la stratégie des autorités sanitaires du pays est relativement similaire aux approches qui ont été adoptées au Québec et ailleurs au Canada.

« Nous avons indiscutablement mis de l’avant de nombreuses mesures pour prévenir la transmission du virus, mais de façon légèrement différente des autres pays », nous a ainsi expliqué Jan Albert, professeur en prévention et contrôle des maladies infectieuses au Karolinska Institutet de Stockholm.

Et ces mesures visent une réduction du nombre de contacts. Comme ici.

Par exemple dès le mois de mars, on a limité les rassemblements à 50 personnes (à noter : sans les faire augmenter avant la fin des vacances d’été, alors qu’au Québec, on les faisait grimper à 250 personnes).

On a fermé les écoles secondaires, les collèges et les universités pour les jeunes de plus de 16 ans ; elles ont rouvert récemment, mais l’enseignement à distance est fréquent. On a aussi imposé des mesures de distanciation physique dans les restaurants et les bars.

Les Suédois ont été incités à restreindre leurs rapports sociaux, à travailler à la maison autant que possible et à s’isoler s’ils ont des symptômes. On leur a même demandé, à Stockholm, d’utiliser les transports en commun uniquement si c’est essentiel. Une approche plus stricte que celle de la Société de transport de Montréal.

Et Jan Albert nous a dit que l’Agence de la santé publique discute de l’utilisation de masques dans les transports en commun si la transmission augmentait.

***

Parlons du bilan, maintenant. C’est un des arguments massue de ceux qui rêvent de voir les autorités sanitaires suédoises gérer le Québec.

Le raisonnement va ainsi : il y a eu 5893 décès en Suède depuis le début de l’épidémie, une situation assez similaire à celle du Québec (5850 en date du 30 septembre), alors que le pays scandinave est pourtant plus peuplé que notre province – 10,2 millions contre 8,5 millions d’habitants. À quoi donc le confinement a-t-il servi ici, si on n’a pas pu faire mieux qu’eux ?

Le problème, c’est que ce raisonnement est trompeur.

Si nous n’avions pas eu de confinement, on peut présumer qu’il y aurait eu nettement plus de contacts, donc beaucoup plus de transmission. Et, forcément, davantage de cas et de décès.

On peut l’estimer avec d’autant plus d’assurance qu’on vient tout juste, au cours des dernières semaines, de s’en remettre à la responsabilité individuelle des Québécois… et ça n’a pas marché !

Le nombre de cas a bondi de façon préoccupante, d’où la nécessité des mesures plus contraignantes annoncées la semaine dernière.

Pourquoi ? Il est fort possible qu’on soit ici en présence d’une différence culturelle. Que notre fameux « côté latin », évoqué récemment par le ministre Dubé, influence notre comportement.

Et que la Suède, dont le protestantisme est associé à l’individualisme et au respect de l’autorité, soit aux antipodes du Québec sur ce plan.

À preuve : deux sondages cités récemment par le docteur Jonas Ludvigsson. En avril, même sans confinement, 98 % des Suédois ont dit avoir modifié leur comportement pour se protéger du virus. Et en mai, 87 % des Suédois disaient pratiquer la distanciation dans les commerces, les restaurants et le transport collectif.

Ce qu’il faut dire, par ailleurs, c’est que si on compare le pays à ses voisins, son bilan est nettement moins reluisant. En Suède, il y a eu environ 15 fois plus de décès qu’en Norvège et 20 fois plus qu’en Finlande.

L’absence de confinement et le refus de rendre le masque obligatoire sont ainsi montrés du doigt par certains.

« La différence fondamentale avec nous, la Norvège, la Finlande et le Danemark, c’est qu’il y a eu confinement dans ces pays », affirme Lena Einhorn, qui fait partie d’un groupe d’une quarantaine d’experts créé en avril dernier en réaction à la stratégie adoptée par la Suède.

Il reste la question de l’immunité collective. Ce n’est pas un objectif. Mais certains experts suédois pensent que leur pays finira à moyen terme par ralentir la progression de l’épidémie plus facilement que d’autres si leurs citoyens sont plus nombreux à avoir été infectés.

C’est possible. Et le pays pourrait être avantagé si un vaccin efficace tarde à être commercialisé. Les prochaines années seront éclairantes à ce sujet.

Mais notons que les juridictions qui ont cru que l’immunité collective était la solution gagnante ou que des mesures strictes n’étaient pas nécessaires (le Royaume-Uni ou certains États américains, notamment) ont déchanté après avoir vu les cas grimper en flèche et leur système de santé passer des moments difficiles.

Après de longs mois de pandémie, on rêve tous d’une façon de s’en sortir sans avoir à faire de nouveaux sacrifices. C’est parfaitement normal de chercher ailleurs ce qui pourrait nous inspirer ici.

Mais ceux qui voient la Suède dans leur soupe – et parlent de son modèle avec un enthousiasme délirant – sont aux prises avec un fantasme. Pas avec la réalité.

https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/2020-10-04/lachez-nous-avec-la-suede.php

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