Violences dans les écoles : l’ABC d’un burn-out (Forum)

par Jéromec, lundi 06 novembre 2023, 08:46 (il y a 388 jours) @ Jéromec

avec le super minissse de l'éducation, ça va bien aller.... non seulement incompétent, mais baveux en plus... et malheureusement personne pour prendre la relève...

https://ici.radio-canada.ca/info/long-format/2023795/violence-ecole-primaire-enseignant...

Violences dans les écoles : l’ABC d’un burn-out

Saint-Jean-sur-Richelieu. École primaire Saint-Lucien. Des enseignantes invoquent leur droit de refuser d'enseigner. La CNESST intervient et ferme les classes. Que s'est-il passé? Des rapports obtenus par Radio-Canada rendent compte de la cascade d'événements ayant mené à cette décision rarissime.

Les couloirs et casiers vides d'une école secondaire à Montréal.
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Des données transmises à Radio-Canada démontrent que les cas de violence contre les enseignants des écoles secondaires ont doublé et qu'elles ont triplé dans les écoles primaires depuis 2018, selon les plus récentes réclamations faites auprès de la CNESST.

PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS

Julie Marceau (Consulter le profil)

Julie Marceau
Publié à 4 h 00 HNE
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C'est le 30 août. La rentrée scolaire est festive à l'école Saint-Lucien. Les enseignants ont adopté une personnalité sur le thème « Monsieur Madame », inspiré des fameux livres pour enfants.

Karine* et Geneviève* (prénoms fictifs), les titulaires des deux classes de première année, se présentent comme Madame fleurie et Madame pétillante à leurs 40 nouveaux élèves.

Elles sont enchantées, mais sur leurs gardes. Certains de ces enfants ont été ciblés en maternelle comme ayant un comportement fortement problématique. Ils étaient alors répartis dans trois classes. Cette année, ils seront concentrés dans deux locaux.

À peine trois jours plus tard, un incident majeur survient.

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Un enfant contrarié prend sa chaise pour tenter de la lancer sur l'enseignante, renverse son pupitre à l'envers et crie devant tous les élèves, lit-on dans un rapport d'incident.

L'enseignante sort d'urgence les élèves du local pendant qu'une technicienne en éducation spécialisée maintient physiquement l'enfant en crise.

Un événement isolé, espèrent les professeures…

Mais dans les jours suivants, leurs pires craintes se concrétisent.

Les incidents se multiplient.

Leur quotidien deviendra peu à peu insoutenable, démontrent des documents issus du milieu scolaire et de la CNESST obtenus par Radio-Canada.

À la mi-septembre, madame Karine* consacre ainsi la plupart de ses journées à la gestion de crises. Parfois, elles sont brutales. L’aperçu que nous en donnent les rapports obtenus est implacable.

Une enseignante dans une classe primaire au Québec.
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Une enseignante dans une classe primaire au Québec.

PHOTO : RADIO-CANADA / JULIE MARCEAU

Lundi 11 septembre

La cloche sonne, un enfant se met à taper madame Karine et à hurler. L'élève répète plusieurs fois je vais tuer. Dans les heures suivantes, un autre élève donne des coups de pied à un enfant. Un troisième élève retient volontairement le capuchon d'un autre garçon, ce qui a pour effet d'étreindre sa gorge.

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Un quatrième élève, contrarié, sort de la classe et s'enferme dans son casier, pleure, s'oppose et crie. Lorsqu'il finit par revenir, il lance son livre par terre et se glisse sous son bureau. C'est le dîner…

Mardi 12 septembre

Brève éclaircie. Un seul enfant est en crise.

Mercredi 13 septembre

En début de journée, un élève de madame Karine refuse d'aller à la période d'arts plastiques; il crie et s'enfuit de la classe. Dans les heures suivantes, un deuxième enfant se met à pleurer et s'opposer aux consignes. Presque au même moment, un troisième frappe l'enseignante, crie puis se met à donner des coups sur la porte de la classe. Il « s'enfuit » du local et se cache dans son casier. Un quatrième pleure, hurle et s'oppose aux tâches demandées. Un cinquième, lui aussi réfractaire aux consignes, se couche par terre sous son bureau.

L’heure du dîner permet à peine à madame Karine de reprendre son souffle. Dès le retour en classe, c’est reparti. Trois élèves sont en crise en même temps. L'un hurle, l'autre finit par s'enfermer dans son casier et pleurer très très fort jusqu'à la fin de la classe. Un troisième enfant s'enfuit du local parce qu'il y a trop de bruit.

La cloche sonne. Un enfant veut sortir tout de suite de la classe. Impatient, il lance son matériel scolaire par terre, pleure et crie très fort.

Jeudi 14 septembre

Un enfant s'enfuit. Un autre dit à l'enseignante qu'elle est méchante , qu'elle est folle, qu'il ne l'aime pas et verbalise son désir de vouloir la frapper.

Il ne s'agit que d'exemples parmi d’autres de ce qu'ont vécu ces professeures, parmi les rapports consultés par Radio-Canada.

Le droit de refus
Le vendredi 29 septembre, après un énième incident violent en matinée, les deux enseignantes, à bout, invoquent leur droit de refuser d’enseigner. Karine* et Geneviève* ont 8 et 13 ans d'expérience. Une troisième enseignante, qui effectue également certaines tâches dans ces classes, de 30 ans d'expérience, leur emboîte le pas.

La directrice de l'école Saint-Lucien, Dominique Dussault, est prise de court.

Je ne savais pas que ça existait [le droit de refus]. Je l'ai appris ce jour-là, raconte-t-elle.

Elle appelle d'urgence du personnel de soutien pour remplacer dans les classes.

Selon la Loi sur la santé et la sécurité du travail, un employé a le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé ou sa sécurité.

La journée même, un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) débarque à l'école. Il suit la procédure en cas de droit de refus.

Les parents ne sont au courant de rien. En fin de journée, ils viennent chercher leurs enfants et partent pour le week-end.

La CNESST, elle, est toujours sur place. Elle rend son rapport à 18 h.

Radio-Canada l'a obtenu par l'entremise d'une demande d'accès à l'information.

Le verdict est accablant : fermeture des deux classes en raison d'un danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique et psychique du personnel scolaire.

La CNESST répertorie 50 incidents d'agression physique ou verbale en moins de trois semaines.

Le document indique que 14 enfants de six ans, répartis dans les deux classes de première année, manifestent des comportements de violence envers le personnel.

Ils frappent, donnent des coups de pied, pincent, lancent des objets (chaises, bureaux, ciseaux, etc.) agressent, menacent, fuguent, résume l'inspecteur.

Pour le syndicat de l'enseignement du Haut-Richelieu (FSE-CSQ), c'est la confirmation de ce que ses membres dénoncent depuis des semaines : des conditions de travail dangereuses et l'impossibilité d'enseigner normalement.

L'école et le centre scolaire sont sur un pied d'alerte tout le week-end. Ils doivent prendre connaissance des recommandations de la CNESST et proposer des solutions.

Je n'avais jamais vu ça [un droit de refus]. Ça nous a pris un petit peu par surprise, admet Marie-Claude Huberdeau, directrice générale du Centre de services scolaire des Hautes-Rivières (CSSDHR).

Mme Huberdeau assure que l'école et le centre scolaire étaient pourtant au courant des problèmes vécus par les enseignantes. La directrice soutient d’ailleurs que des interventions étaient déjà en cours et que d'autres étaient prévues.

Les stratégies qu'on avait en tête étaient les bonnes [...] C'est juste qu'on les a devancées et intensifiées, soutient-elle.

Un plan d'action est accepté le dimanche par la CNESST. Il prévoit notamment l'ajout d'intervenants dans les classes, des formations sur la conduite agressive pour le personnel scolaire et un réaménagement des lieux pour les élèves en crise.

La fermeture des classes est évitée… de peu.

La cour d'une école primaire.
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La cour d'une école primaire.

PHOTO : RADIO-CANADA / JULIE MARCEAU

Lundi matin, les parents ne savent toujours rien. Ils déposent leurs enfants devant l'établissement, comme à l'habitude.

Les enfants, eux, se retrouvent avec des remplaçants dans leur classe.

Ce n'est que mardi soir qu'un courriel parvient aux parents. L'école les informe que des manifestations de violence ont eu un impact sur l'apprentissage des élèves de première année.

Rien sur le droit de refus ou l'intervention de la CNESST.

Certains parents, comme Daphnée Girard-Sévigny, dont la fille est dans l'une des classes, ne prennent connaissance de l'ampleur de l'intervention que le lendemain matin, en ouvrant leur radio au 98.5 FM.

Au micro de Paul Arcand, cette mère de trois enfants apprend que les incidents violents étaient si intenses et nombreux que les profs ont refusé d'enseigner.

C'est le choc.

Nous, on part pour aller porter notre enfant à l'école et on entend ça. On a capoté un peu!, raconte Mme Girard-Sévigny.

L'effet pop-corn
C'est venu me chercher parce que le comportement de notre fille avait beaucoup changé dans les dernières semaines et on ne comprenait pas pourquoi, confie-t-elle.

Notre petite fille, super enjouée, polie, était devenue arrogante.

Mme Girard-Sévigny croit qu'elle minimise désormais les incidents violents. Ma fille va me dire : tel ami s'est fâché, mais c'est normal parce qu'il est hypersensible.

De l'avis du syndicat, le personnel scolaire commençait à voir un effet de contamination au fil des semaines.

Des jeunes qui fonctionnaient bien se mettent à avoir des comportements inacceptables, explique Ysabel Racine, secrétaire générale et agente d'information au Syndicat de l'enseignement du Haut-Richelieu.

C'est un peu comme un effet pop-corn, poursuit-elle, il y en a un qui saute, puis un autre, puis un autre, et après, c'est un feu roulant; tu n'arrives jamais à ramener un niveau de calme qui est propice aux apprentissages dans la classe.

Regardez, ici, c'est notre nouvelle salle d'apaisement…
Lors d'une visite sur place, à la mi-octobre, la directrice de l'école Saint-Lucien a assuré à Radio-Canada que le plan d'action avait déjà permis de changer le comportement de plusieurs enfants.

On est partis de 14 enfants ciblés à cinq ou six. Il y a encore des interventions plus importantes, mais ça a vraiment permis d'apaiser le climat, a indiqué Dominique Dussault.

Dans un courriel envoyé aux parents vers la fin octobre, l'école affirme qu'aucun événement de violence n'a été observé depuis le 4 octobre.

Faux, soutient le syndicat.

Ça n'a pas diminué!, s'insurge Ysabel Racine. Le personnel scolaire continue de remplir chaque semaine des rapports d'incidents. L'école et le centre scolaire le savent, on en a discuté avec eux.

La représentante syndicale craint que la direction soit en train de banaliser la violence.

Est-ce normal, dans une classe régulière de première année, de donner à des enseignantes des manchons protecteurs au cas où un élève mordrait?, questionne-t-elle.

Il y a des ciseaux qui ont été lancés dans cette classe-là. Ce n'est pas normal que des profs se demandent : y a-t-il un élève qui va se faire crever un œil ou qui va se faire mordre?

Une citation deYsabel Racine, secrétaire générale et agente d'information au Syndicat de l'enseignement du Haut-Richelieu (FSE-CSQ)
Une enseignante dans une école primaire à Laval.
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Une enseignante dans une école primaire.

PHOTO : RADIO-CANADA / JULIE MARCEAU

Quatre familles à qui nous avons parlé soutiennent également que les incidents violents se poursuivent, dont des chaises lancées.

On nous a dit qu'on verrait des améliorations entre quatre et six semaines, mais pendant ce temps-là, on doit envoyer nos enfants en classe en espérant qu'ils ne se prennent pas une chaise en arrière de la tête! s'inquiète Daphnée Girard-Sévigny.

Il y a quelques jours, la fille de Nancy* a reçu un coup de poing d'un élève de sa classe. Sa blessure a été assez sérieuse pour lui faire mal entre deux et trois jours, nous dit sa mère, qui a requis la confidentialité.

Une note de l'école, que nous avons pu consulter, confirme l'agression physique.

Les parents ajoutent que l'incident s'est produit peu de temps après que la fillette est passée proche d'être gravement blessée par une chaise lancée dans sa direction.

Il y a encore des crises et des évacuations, atteste Sara Carignan, une autre mère dont la fille, en première année, fait maintenant de l’anxiété.

Ma fille a reçu récemment des menaces de mort de la part d'un autre enfant [de première année]. Il lui a fait signe qu'il allait lui trancher la gorge. Elle me l'a mimé avec le doigt.

Moi, je veux que ma fille soit en sécurité et qu'elle puisse apprendre à lire et à écrire

Une citation deDaphnée Girard-Sévigny, mère de trois enfants
L’école Saint-Lucien n’a pas eu la vie facile ces dernières années. Quatre directions se sont succédé depuis 2019 alors que l'école manque de ressources humaines et financières.

Saint-Lucien est d'ailleurs considérée comme défavorisée par le ministère de l'Éducation, rappelle Émilie Dupuis, la présidente du conseil d'établissement.

D'année en année, on voit une hausse des comportements problématiques dans notre école. Est-ce que le secret serait d'ouvrir d'autres classes d'adaptation scolaire? Peut-être, suggère-t-elle.

Un échange de courriels, dont Radio-Canada a pu prendre connaissance, démontre que les trois enseignantes de première année ont recommandé l'ouverture d'une telle classe.

Actuellement, l'école compte deux classes CDAC (classe de développement affectif et comportemental) pour des enfants âgés de 6 à 12 ans ayant de graves troubles de comportement.

Une troisième classe
Il y a quelques jours, le Centre de services scolaire des Hautes-Rivières a finalement décidé de financer l'ouverture d'une troisième classe de première année. Une classe régulière pour l'instant.

L'organisation fait valoir que transférer un enfant vers une classe spécialisée est une mesure de dernier recours. Selon sa directrice, Marie-Claude Huberdeau, cela ne peut se faire qu'avec l'accord des parents et après avoir conclu hors de tout doute que les interventions dans la classe régulière ne fonctionnent pas.

Les 40 enfants seront donc pour l'instant répartis dans trois groupes. Les parents ne savent pas quels enfants auront la chance de conserver la même enseignante dans ce tumulte.

Mme Huberdeau se dit persuadée que cette nouvelle solution pérenne permettra de ramener un climat propice à l'apprentissage.

Des familles demeurent inquiètes. Les représentants syndicaux aussi.

Le syndicat se réjouit de quelques avancées dans le dossier, mais déplore que tout cela découle du droit de refus des enseignantes.

Il faut retenir que si personne n'avait bougé, les classes restaient fermées par la CNESST, souligne Carl Tremblay, premier vice-président au syndicat de l’enseignement du Haut-Richelieu (FSE-CSQ).

Un cœur dans une fenêtre de classe.
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Un cœur installé dans la fenêtre d'une école primaire de Montréal.

PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS

Les violences ont triplé au primaire, selon la CNESST
Depuis 2018, le nombre de réclamations acceptées par la CNESST a triplé pour divers gestes de violence à l’endroit d’enseignants au primaire (coups, morsures, bousculades ou torsions par exemple), selon les plus récents chiffres transmis à Radio-Canada.

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Ces chiffres ne sont que la pointe de l'iceberg, souligne le syndicat, puisqu'ils illustrent les rares enseignants qui décident de faire une réclamation.

Souvent les gens tombent en arrêt de travail, tout simplement, et n'ont plus la force de se battre. C'est un combat de se faire reconnaître par la CNESST, affirme Ysabel Racine.

À quelques jours de la diffusion de ce reportage, le ministre de l'Éducation a annoncé un plan de 30 millions de dollars sur cinq ans pour prévenir les cas de violence et d'intimidation dans les écoles.

Ce plan, très général pour l'instant, prévoit des formations pour le personnel scolaire et les élèves sur les thèmes de la violence et de la santé mentale.

Aucune mesure ne concerne toutefois les ratios. C'est-à-dire ce qu’il faut faire avec la hausse d'élèves ayant des comportements problématiques dans les classes régulières et où est la limite...

Le plan de prévention de la violence et de l’intimidation [du ministre] ne prévoit pas de mesures touchant la composition de la classe dans les écoles, convient le porte-parole du ministère Bryan St-Louis.

Ce dossier chaud est toutefois au cœur des négociations actuelles entre le gouvernement et les syndicats. Au cœur de l'essoufflement de milliers d'employés qui sont en grève ce lundi aux quatre coins du Québec.


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