Grosse victoire pour Trudeau face à Google. (Forum)
(Ottawa) La pression s’accentue sur Meta alors que Google et la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, ont finalement conclu une entente trois semaines avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les nouvelles en ligne. Google menaçait de retirer de son moteur de recherche les liens vers les articles d’actualité comme l’avait fait Meta, qui n’a pas l’intention de revenir sur sa décision.
« Ça n’a pas été facile, a reconnu le premier ministre Justin Trudeau avant la période des questions mercredi. On a vu que Meta a complètement abdiqué ses responsabilités en tant que géant du web, mais on est très contents d’avoir pu arriver à une entente avec Google pour s’assurer que des journalistes, y compris de petits médias locaux, vont être appuyés pour des années à venir. »
En vertu de la Loi sur les nouvelles en ligne (C-18), les géants du web devront verser des redevances aux médias canadiens s’ils diffusent leur contenu sur leurs plateformes. L’entente conclue avec Google prévoit une somme de 100 millions par année, indexée sur l’inflation, soit bien en deçà des 172 millions qui avaient été estimés par le ministère du Patrimoine canadien.
Au lieu de négocier des ententes à la pièce, Google pourra verser cette somme à un collectif qui le distribuera aux médias d’information admissibles, « selon leur nombre d’équivalents temps plein en journalisme », indique le communiqué publié par le ministère du Patrimoine canadien. La part que recevra chaque média reste à déterminer.
« C’est la première fois qu’il y a un mécanisme aussi transparent qui est établi, a déclaré Mme St-Onge en point de presse mercredi. Et c’est vraiment un moment historique, quelque chose de nouveau qui est introduit dans le monde. »
La loi vise un éventail de médias d’information qui publient du contenu en ligne, qu’ils soient à but lucratif ou à but non lucratif. Les télédiffuseurs et radiodiffuseurs privés devraient en faire partie, selon le cabinet de la ministre. Elle n’a pas voulu dire si une partie de cette enveloppe irait à CBC/Radio-Canada. Le diffuseur public reçoit déjà plus d’un milliard de dollars de financement du gouvernement.
« Également, le Canada se réserve le droit de rouvrir l’entente si jamais il y a de meilleures ententes qui sont conclues ailleurs dans le monde », a souligné la ministre. Le règlement final sera publié avant l’échéance du 19 décembre, date à laquelle la Loi sur les nouvelles en ligne doit entrer en vigueur.
« Nous remercions la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, d’avoir reconnu nos préoccupations et de s’être engagée à fond dans une série de réunions productives sur la manière d’y répondre », a déclaré le président des affaires mondiales de Google et Alphabet, Kent Walker. Il a tenu à rappeler que le moteur de recherche continuera « à envoyer du trafic important aux éditeurs canadiens ».
Le géant du web avait menacé de retirer les liens vers le contenu d’actualité pour se soustraire à la législation s’il ne parvenait pas à s’entendre avec le gouvernement. Il estimait notamment que le règlement proposé ne permettait pas de « fixer une limite définie » à la somme à verser. En août, Meta avait retiré les articles de nouvelles de ses plateformes Facebook et Instagram.
L’entente entre Google et le gouvernement « montre que cette loi fonctionne », a indiqué Mme St-Onge. « C’est maintenant [aux dirigeants de] Facebook d’expliquer pourquoi ils laissent leur plateforme à la désinformation », a-t-elle ajouté.
Le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a salué le travail de la ministre et du gouvernement pour arriver à cette entente. « Nous félicitons également Google pour sa bonne foi et son approche socialement responsable, et nous appelons Meta à faire de même », a-t-il déclaré par écrit. Il ne s’est pas avancé sur l’impact de l’entente étant donné que la réglementation finale est toujours inconnue.
Cette entente constitue une « excellente nouvelle » aux yeux de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. « Ces sommes vont contribuer à soutenir des médias d’ici qui souffrent de la domination presque totale des géants du web dans le marché publicitaire au Canada », a rappelé son président, Éric-Pierre Champagne, sur le réseau social X.
« Cela prouve aussi l’importance de se doter de lois face aux géants du web et de ne pas se laisser intimider en cours de route. Toute la pression est maintenant sur Meta qui a l’occasion de montrer qu’il peut être un bon citoyen corporatif au Québec et au Canada. »
La Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN) a également appelé la multinationale à « réintégrer les contenus journalistiques sur ses plateformes et amorcer les négociations avec les entreprises de presse, comme prévu par la loi ».
Meta a toutefois rapidement fermé la porte. « Contrairement aux moteurs de recherche, nous ne puisons pas de manière proactive des nouvelles sur l’internet pour les intégrer dans le fil d’actualité de nos utilisateurs », a indiqué sa porte-parole, Lisa Laventure.
« Et nous avons été clairs depuis longtemps sur le fait que la seule manière pour nous de nous conformer raisonnablement à la Loi sur les nouvelles en ligne est de mettre fin à la disponibilité des nouvelles pour les personnes au Canada. »
C-18 force les géants du web à indemniser les médias d’information pour la publication de leurs contenus en négociant des ententes de partage de revenus. L’accord avec Google survient dans un contexte économique difficile pour les salles de nouvelles alors que leurs revenus publicitaires sont siphonnés par les géants du web.
« S’il y a une entente, je pense que c’est un pas dans la bonne direction », avait réagi le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, en matinée mercredi avant le point de presse de son homologue fédérale. Il réclame également un fonds pour venir en aide aux médias électroniques.
Les dirigeants de Cogeco ont dit mardi craindre de devoir procéder à une restructuration majeure dans ses 21 stations de radio si le CRTC ne change pas le cadre réglementaire pour offrir plus de soutien financier aux stations de radio et durcir le cadre législatif pour les plateformes de diffusion en continu comme Spotify. L’information locale serait touchée la première.
Le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a annoncé au début du mois de novembre le licenciement de 547 employés de TVA pour sauver le réseau de télévision. De nombreuses stations régionales ont été touchées. Les Coops de l’information, qui regroupent six quotidiens régionaux, suppriment également 125 postes avec la fin de leurs éditions papier.
Ailleurs au pays, la situation est tout aussi difficile. Bell Média avait annoncé le licenciement de 1300 employés en juin et la fermeture de six stations de radio.
https://www.lapresse.ca/affaires/medias/2023-11-29/crise-des-medias/ottawa-et-google-on...