Jacques Arnould ; Turbulences dans l'Univers (Sciences & Paranormal)
Source : Jacques Arnould ; Turbulences dans l'Univers
Jacques Arnould, Turbulences dans l’univers. Dieu, les extraterrestres et nous, Paris, Albin-Michel, 2017
Frédéric Barriault·23 août 2017
Je partage ici la version longue de ma recension du dernier livre du théologien français Jacques Arnould, publié l’hiver dernier aux Éditions Albin Michel. Une version abrégée de ce texte sera publiée cet automne dans la revue Rencontre du Centre culturel chrétien de Montréal. Lundi, au micro de Mathieu Lavigne, sur les ondes des Radio VM, je discuterai justement de cet ouvrage fascinant.
Au moment où ce livre a été publié, le film Arrival de Denis Villeneuve venait tout juste de décrocher une statuette à la cérémonie des Oscars, pour ce long-métrage dans lequel une équipe de scientifiques tente de déchiffrer un message transmis aux Terriens par des extraterrestres. Peu après, des chercheurs de la NASA faisaient la découverte de Trappist 1, un système solaire de sept exoplanètes ressemblant à la Terre, dont trois seraient potentiellement habitables, faisant ainsi miroiter la possibilité que des formes de vies puissent exister ailleurs dans le cosmos.
C’est dans ce contexte très particulier que le théologien français Jacques Arnould a publié cet ouvrage. Diplômé en agronomie et en histoire des sciences, théologien de haut vol et ex-membre de l’Ordre dominicain, Arnould est chargé de mission pour les questions éthiques au Centre national de l’espace. Adversaire acharné des créationnistes et auteur d’une dizaine de livres sur les questions scientifiques, il s’efforce d’établir un dialogue serein entre la science moderne et la foi chrétienne. Non pas dans l’espoir de nier (ou de colmater) leurs divergences mais au contraire afin de repenser la théologie et la liturgie chrétiennes à la lumière des découvertes scientifiques.
Jacques Arnould s’intéresse cette fois-ci aux impacts potentiellement néfastes de la découverte éventuelle de vie extraterrestre sur les piliers (d’un certain) christianisme. La découverte de vie aux confins de l’univers ne risque-t-elle pas de remettre en question l’omniscience et la providence de Dieu, de même que l’inerrance du livre de Genèse? En effet: Dieu ne semble pas avoir pas « prévu » l’existence de vie extraterrestre. De plus, la Bible n’y fait pas allusion, du moins de manière explicite. L’existence même de ces extraterrestres ne pourrait-elle pas menacer certains dogmes du judéo-christianisme? S’il est vrai que l’humanité a été créée à l’image de Dieu, que penser des extraterrestres? À l’image de qui ou de quoi ont-ils été engendrés? Le péché originel s’applique-t-il aux seuls Terriens ou à tous les êtres qui peuplent cet univers? Pour qui donc le Verbe s’est-il fait chair? Pour qui donc Jésus est-il mort sur la croix? Pour qui est-il ressuscité? La rédemption offerte par Jésus-Christ ne se limite-t-elle donc qu’aux Terriens et à eux seuls? S’il est vrai que Dieu, Jésus, les anges, les saints et les âmes des trépassés « logent » dans les cieux, dans quel « ciel » vivent donc les extraterrestres?
Loin d’être loufoques ou absurdes, ces questions taraudent les êtres humains — et plus encore les chrétiens — depuis des siècles. La première partie de l’ouvrage révèle d’ailleurs la fascination durable des Occidentaux - croyants et incroyants - pour la pluralité des mondes habités, et ce, de l’Antiquité à nos jours.
De facture analytique et théologique, la deuxième partie de l’ouvrage invite les chrétiens à repenser l’exégèse biblique et la théologie dogmatique, à la lumière du défi que pourrait représenter la découverte de vie extraterrestre. Critiquant le littéralisme biblique des créationnistes et la prétention de la science à fournir des réponses définitives à propos de l’univers (à propos duquel nous ne savons presque rien : il n’est connu qu’à 5%), Arnould se fait le chantre d’une (re)lecture allégorique des textes bibliques, et d’une révision audacieuse de la théologie de la création, autour de certaines figures bibliques telles que Adam, Caïn, Noé, Job et Jacob. Il invite les chrétiens à tourner le dos à la posture anthropocentrique qui est au cœur de leur théologie, et à remettre en question le caractère unique et exceptionnel de la vie humaine et terrestre. Depuis Copernic et Galilée, la Terre n’est plus le centre de l’univers. Depuis Darwin, l’être humain est devenu un animal comme les autres, soumis aux mêmes processus biologiques qu’eux, et dont la survie, ici-bas, est intiment liée à la qualité des relations qu’il établira avec les autres habitants de la biosphère.
Si l’homme est effectivement composé de poussière d’étoiles, et s’il est vrai, comme l’entendaient les Pères (grecs) de l’Église, de même que le jésuite Teilhard de Chardin, que le Christ (cosmique) se dilate dans tout l’univers et qu’il a «réconcilié le cosmos avec lui-même» (2 Cor, 5, 19), ne faut-il pas aussi étendre cette fraternité et cette Alliance à tout le cosmos et à tous les êtres vivants pouvant l’habiter? Même si cela suppose une expérience assez radicale d’altérité, la vie extraterrestre étant pour l’instant un Autre, sinon un Tout-Autre. «Ne [prenons] pas le risque, dit Arnould, d’imposer à Dieu les limites de nos propres désirs et peurs théologiques. […] il ne revient pas aux hommes de décider de l’usage et des limites de la toute-puissance divine; il convient plutôt de laisser à Dieu toute liberté de créer ou non d’autres mondes, quand bien même leur existence défierait la raison humaine».
De tout temps, donc, les Occidentaux ont senti le besoin de « peupler » la voûte céleste et de « remplir » le vide intersidéral à l’aide de créatures fabuleuses, parfois dépeintes comme des êtres bénéfiques et salvifiques, parfois présentées comme des envahisseurs menaçants. Comme si l’idée d’un univers « vide » et inhabité leur était insupportable. Trop souvent, nous dit Arnould, ces êtres fabuleux ont été le reflet des peurs mais aussi des rêves et des désirs des êtres humains, la voûte céleste étant un miroir dans lequel l’homme se mire lui-même, de même qu’une toile sur laquelle il projette sa propre image. D’où la propension à donner aux êtres célestes — anges, Élohim, extraterrestres — une forme humanoïde, transformant ceux-ci en « cousins lointains », dès lors moins terrifiants.
Dans une entrevue à bâtons rompus accordée à la revue America en 2014, l’un des astronomes du Vatican, le jésuite Guy Consolmagno, affirmait être disposé à baptiser des extraterrestres…. pour peu que ceux-ci lui en fassent expressément la demande. Vingt ans plus tôt, son confrère Christopher Corbally avait lui aussi admis être disposé à baptiser des extraterrestres, non sans avoir auparavant fait le point sur leur connaissance des mystères de la foi chrétienne. Preuve, s’il en est, de la persistance des schèmes de pensée anthropocentriques, y compris chez les chrétiens.
La sécularisation du « ciel » chrétien n’a en rien entamé ce processus de projection anthropocentrique sur la voûte céleste. Issu de la génération qui a vu le jour avec les personnages de Star Wars, de Star Trek, d’E.T et de Goldorak, j’ai grandi avec ces « cousins lointains » des confins de l’espace. Cousins car tellement humains : difficile de ne pas tracer des parallèles entre le sympathique Yoda de Star Wars et le tout aussi sympathique Monsieur Miyagi du blockbuster Karaté Kid : tous deux des vieillards sages, tous deux des maîtres en arts martiaux. Et que dire du détestable Jabba the Hut, un caïd mafieux étrangement semblable à ceux qui peuplent les films de gangsters américains.
Jacques Arnould invite quant à lui les chrétiens à rompre avec ces schèmes anthropocentriques, et à s’ouvrir à une expérience d’altérité radicale : nous sommes seuls dans cet univers et nul ne sait, pour l’instant, si la vie a pu surgir aux confins du cosmos, ni d’ailleurs quelle forme cette vie prendra. Contemplons donc la voûte céleste dans une optique empreinte de révérence devant le Tout-Autre et ses mystères. Cultivons aussi une attitude d’humble et fervente attente à l’égard de ce vide intersidéral: « L’attente que peut susciter l’existence des extraterrestres, encore possible parce encore non avérée, invite les chrétiens à mesurer leur solitude, non seulement matérielle mais aussi spirituelle, et à attendre qu’elle soit comblée par la venue du Christ : ‘‘Maranatha, Amen, viens Seigneur Jésus!’’ Les derniers mots de la Bible sont-ils autre chose que le cri d’une attente et, par conséquent, l’expression d’un manque, d’une solitude, mais aussi d’une promesse à combler? »
Frédéric Barriault
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C'est vrai que la question se pose, est-ce que la religion est typique aux humains ou dans l'ensemble des créatures du cosmos, si évidemment l'humain parviendrait à découvrir de la vie extraterrestre ? Est-ce que le Christ est venu seulement sauver la race humaine ?
Dédé
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