Top Secret 3 poivres... pourquoi Poilievre n’en veut-il pas? (Forum)
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2113919/cote-securite-secret-ingerence-etrangere-t...
Qu’est-ce qu’une cote de sécurité très secrète et pourquoi Poilievre n’en veut-il pas?
La question de l’habilitation de sécurité revient périodiquement dans l’actualité depuis que les révélations sur l’ingérence étrangère dans les élections fédérales ont éclaté au grand jour il y a deux ans.
Cette question fait d’ailleurs souvent l’objet d’échanges corsés entre le premier ministre, Justin Trudeau, et le chef conservateur, Pierre Poilievre : le premier accuse le second d’agir de manière "irresponsable" en refusant d’obtenir une cote de sécurité, nécessaire pour accéder aux documents classifiés en lien avec l’ingérence étrangère.
Ces documents contiendraient notamment les noms de parlementaires – issus de différents partis – qui seraient associés à des activités d'ingérence étrangère.
Mercredi, lors de son témoignage devant la commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère, M. Trudeau dit avoir demandé au Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS) de partager avec M. Poilievre la liste des noms de parlementaires conservateurs pointés du doigt, mais l’agence est incapable de le faire tant que le chef conservateur n’a pas obtenu une cote de sécurité de haut niveau.
Il fait un geste de la main gauche.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, devant la commission d'enquête sur l'ingérence étrangère, le 16 octobre 2024
M. Poilievre, quant à lui, accuse M. Trudeau de "mentir" et l’appelle à "dévoiler les noms" de tous les parlementaires impliqués, sachant que le premier ministre est astreint au secret à perpétuité en vertu de la Loi sur la protection de l’information et du Code criminel.
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M. Poilievre est d’ailleurs le seul chef fédéral à ne pas avoir entamé la démarche pour obtenir une habilitation de sécurité de haut niveau, affirmant que cela limiterait sa liberté d'expression.
Mais qu’est-ce qu’une cote de sécurité très secrète? Qui peut en obtenir une? Et qu’est-ce que cela comprend pour les personnes qui l'obtiennent? Nous faisons le point.
Quoi et comment?
La cote de sécurité n’est pas octroyée à qui la veut. Seules les personnes dont l’emploi avec le gouvernement nécessite un accès aux renseignements classifiés ou à des sites sensibles doivent faire l’objet d’une vérification de sécurité de la part du SCRS et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Cette vérification comprend des entrevues, une vérification des antécédents judiciaires, une prise d'empreintes, ainsi qu’une enquête qui est plus ou moins approfondie selon le niveau de sécurité (confidentiel, secret ou très secret) des renseignements auxquels la personne aura accès.
Deux mains tiennent une feuille.
Des documents lourdement caviardés.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Dans le cas des documents classifiés sur l’ingérence étrangère, il faut obtenir la cote de sécurité "très secrète" pour pouvoir y accéder.
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Les vérifications sont faites sur une période de plus de 10 ans et, une fois que la cote de sécurité de haut niveau est octroyée, elle est valide pour une durée de 5 ans.
Il s’agit d’un processus "qui peut être évidemment très intrusif", admet Michelle Tessier, ancienne sous-directrice des opérations au SCRS, dans un entretien accordé à l’émission Midi info.
De manière générale, le SCRS veut vérifier trois choses, explique pour sa part Michel Juneau Katsuya, ancien cadre et agent du renseignement canadien. "Est-ce que la personne est honnête? Est-ce qu'on peut lui faire confiance? Et est-elle loyale envers le Canada?"
Michel Juneau-Katsuya, les bras croisés, dans les locaux de Radio-Canada à Montréal.
Michel Juneau-Katsuya, ancien cadre et enquêteur au Service canadien du renseignement de sécurité. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Carl Mondello
Il faudra lister "les noms de tous les membres de ta famille, ta famille élargie, donc ta belle-famille, ton beau-frère, ta belle-sœur, où ils travaillent, où ils demeurent, etc., parce qu'il va y avoir des vérifications électroniques sur tout le monde [...] sur les 10 dernières années", dit à Radio-Canada M. Juneau Katsuya.
"Pour les références comme [les] anciens employeurs ou [les] voisins", les agents du SCRS peuvent effectuer "une visite physique" pour vérifier les informations qui leur ont été transmises.
Qui peut faire une demande?
De manière générale, les députés ne peuvent pas faire une demande de cote de sécurité, à l’exception des membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui sont appelés à consulter des documents classifiés dans le cadre de leurs fonctions.
Avant 2023, même les chefs des partis fédéraux ne pouvaient pas déposer de demande pour avoir une habilitation très secrète, affirme à Radio-Canada Daniel Savoie, le porte-parole du Bureau du Conseil privé.
C’est à la suite d’une recommandation faite par le rapporteur spécial David Johnston dans son rapport sur l’ingérence étrangère que le premier ministre Trudeau a invité les chefs de l’opposition à se doter d’une cote de sécurité pour pouvoir consulter des informations confidentielles relatives à la sécurité nationale.
Portrait de M. Johnston.
Le rapporteur spécial David Johnston
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Un projet de loi (C-377) est en cours d’étude pour modifier la Loi sur le Parlement du Canada afin de donner le droit aux députés de tous les partis de faire une demande pour obtenir une habilitation de haut niveau.
Selon le parrain de ce projet de loi, le député conservateur Alex Ruff, le fait d’en faire la demande ne garantit pas aux élus l’obtention d’une cote de sécurité.
"Ce libellé souligne la nécessité d'améliorer la transparence, la reddition de comptes et la sensibilisation entourant les menaces en constante évolution qui pèsent sur le Canada et sur nos institutions et processus démocratiques", a-t-il dit devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, au début octobre.
Qu’en est-il des premiers ministres? Selon M. Savoie, "en vertu de leurs fonctions, des serments qu'ils prêtent et des briefings de sécurité qu'ils reçoivent, les premiers ministres ont un accès total à tous les documents et renseignements classifiés nécessaires".
Elle est vide.
Vue générale de la Chambre des communes
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Des délais de traitement qui varient
L’étude d’une demande pour obtenir une cote très secrète peut prendre jusqu’à quatre mois, à en croire le site web du gouvernement canadien, mais il n’est pas inhabituel que les vérifications prennent six mois, surtout s’il s’agit d’une première demande.
"Le délai de traitement des demandes varie selon la complexité des filières et les ressources disponibles", affirme Daniel Savoie du Bureau du Conseil privé.
Le fait de fournir un formulaire incomplet ou de tarder à fournir les renseignements manquants peut retarder le traitement d’une demande. D’autres facteurs, tels qu’avoir habité à l’étranger pour des périodes prolongées ou la découverte de renseignements défavorables, peuvent aussi augmenter le temps nécessaire pour analyser le dossier.
Une citation de Daniel Savoie, porte-parole du Bureau du Conseil privé
Pour les chefs fédéraux, l’étude de leur demande prend "entre 15 et 55 jours ouvrables", ajoute-t-il. "Un temps de traitement plus long n’indique pas nécessairement qu’une demande de cote sera refusée."
Elle marche.
La cheffe du Parti vert du Canada, Elizabeth May, tenant une copie caviardée du rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR).
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
La cheffe du Parti vert du Canada, Elizabeth May, et le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, ont tous deux fait une demande à l’été 2023 et ont obtenu une cote de sécurité très secrète au bout de deux à trois mois environ.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui avait d’abord refusé de faire une demande, qualifiant la cote de sécurité de "piège", s’est plus tard ravisé et a entamé les démarches nécessaires en juin 2024. Plus de quatre mois plus tard, il n’a toujours pas obtenu sa cote de sécurité.
Quand on demande pourquoi l’examen de sa demande prend plus de temps que pour les autres chefs de l’opposition, son cabinet affirme que "certains délais sont occasionnés par la prise de rendez-vous reliée au processus et des questionnements sur certains aspects reliés au dossier".
"Il y a plusieurs étapes dans la procédure d’accréditation de sécurité, notamment avec des formulaires à remplir, questionnaires, et empreintes digitales", mentionne dans un courriel Joanie Riopel, l’attachée de presse principale du cabinet du chef bloquiste.
"M. Blanchet a suivi les étapes et il en est à la dernière qui consiste à faire une entrevue de sécurité. Le rendez-vous est déjà prévu pour la semaine prochaine", a-t-elle ajouté.
Yves-François Blanchet parle derrière un lutrin.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Pourquoi est-ce important et qu’est-ce que cela implique?
Sans une cote de sécurité, les chefs de l’opposition ne peuvent accéder aux informations classifiées sur l’ingérence étrangère qui touchent leur parti et ne peuvent donc pas prendre les décisions nécessaires en vue d'éliminer les risques pour l’intégrité de leur formation.
C’est ce que confirment plusieurs hauts responsables du SCRS, dont Michelle Tessier, qui dit que l’essentiel, "c’est de pouvoir les informer" pour qu’ils soient conscients des "menaces et des vulnérabilités au sein de leur parti".
Quant à l’argument de Pierre Poilievre, qui dit refuser de se doter d’une cote de sécurité pour ne pas être muselé face au gouvernement, "c’est de la politicaillerie", dénonce Michel Juneau Katsuya.
"C'est faux", dit cet expert en sécurité nationale. "M. Poilievre a déjà eu une cote de sécurité très secrète lorsqu'il était membre du cabinet de [Stephen] Harper. Il sait très bien comment se comporter, il sait très bien ce qu'il peut dire et ne pas dire."
Richard Fadden en entrevue dans la rue Sparks à Ottawa.
L’ancien directeur du SCRS, Richard Fadden. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Jonathan Dupaul
Dans une entrevue accordée jeudi dernier à CBC, l’ancien patron du SCRS, Richard Fadden, a affirmé que les personnes dotées d’une cote de sécurité peuvent sélectionner les informations classifiées qu’elles souhaitent recevoir.
Ce n’est pas parce que vous avez une habilitation de sécurité que vous devez devenir un moine chartreux et vivre dans le silence. [...] Vous pouvez sélectionner ce sur quoi vous souhaitez être informés.
Une citation de Richard Fadden, ancien patron du SCRS
M. Poilievre affirme que son chef de cabinet, qui détient une cote de sécurité de haut niveau, a obtenu des renseignements classifiés "de la part du gouvernement". "À aucun moment le gouvernement ne m’a dit, ni à mon chef de cabinet, qu’un parlementaire ou un candidat conservateur, actuel ou ancien, participait sciemment à des activités d’ingérence étrangère", a-t-il assuré dans une déclaration écrite.
Mais pour Ward Elcock, un autre ancien chef du SCRS interrogé par CBC, un chef de cabinet ne peut remplacer un chef de parti.
Pierre Poilievre debout en Chambre.
Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
"Que pourrait faire le chef de cabinet avec ces informations?" s’est-il demandé. "M. Poilievre n’est pas doté d’une habilitation de sécurité, donc son chef de cabinet ne peut pas lui communiquer l’information classifiée."
"Le chef de cabinet n’a aucun pouvoir [...] parce qu’il n’est pas le chef du parti", a-t-il encore dit.
Quant à l’appel que fait M. Poilievre à M. Trudeau pour le sommer de rendre publics les noms des parlementaires impliqués dans des affaires d’ingérence étrangère, tous les anciens responsables au SCRS affirment que cela serait contraire à la loi.
"Les personnes qui obtiennent la cote de sécurité doivent consentir à protéger les informations classifiées", rappelle Mme Tessier.
"C’est vraiment inhabituel de divulguer des noms associés à des enquêtes de sécurité [...] pour des raisons juridiques", a encore dit Mme Tessier au micro de Midi info.
"Il faut protéger les sources et les méthodes d’enquête", ajoute-t-elle, rappelant que les informations classifiées qui se trouvent dans les rapports secrets sont "des renseignements et non pas des preuves devant une cour de justice".
Les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement ont dû, par exemple, renoncer à leur immunité parlementaire et risquent d'être poursuivis en justice s'ils divulguent des renseignements classifiés sans autorisation. Cette question est d'ailleurs présentement contestée devant les tribunaux.
Avec des informations de Louis Blouin et de Rosanna Tir
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