Chatons Électrik racontent « le flop » des camions. (Forum)
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Les camions avaient tellement de problèmes que les employés surnommaient l’un des modèles « Frankenstein ».
Des employés travaillent sur le châssis d'un camion à l'usine Lion Électrique de Saint-Jérôme, en mars 2023.
Des employés travaillent sur le châssis d'un camion à l'usine Lion Électrique de Saint-Jérôme, en mars 2023.
Photo : Getty Images / AFP / DERRICK CAPKO
Thomas Gerbet (Consulter le profil)
Thomas Gerbet
Publié à 4 h 00 HNE
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« Moi, j’aurais peur d’acheter un véhicule Lion », avoue un ex-responsable de l’ingénierie et du développement de produits de Lion Électrique. Radio-Canada a recueilli les témoignages de quatre anciens gestionnaires et deux ex-techniciens. Ils décrivent des méthodes de fabrication qu’ils jugent défaillantes au sein de l’entreprise au bord de la faillite.
Et, pour la première fois, un client, le PDG du Parc Safari, s’ouvre, sans filtre, sur les tumultes de son expérience avec les camions de Lion Électrique, dont les problèmes lui ont "coûté cher".
Pour parler de certains véhicules produits par le fabricant québécois, un de ses anciens gestionnaires des ventes n’hésite pas à évoquer des "camions bâclés".
Il cite l’exemple du Lion8, que les employés ont surnommé "Frankenstein". C’est "le pire flop" de tous les camions, selon un ancien technicien qualité. "Il était mal assemblé".
Pour te montrer que l’assemblage était mauvais, les camions ne se ressemblaient pas. C'est pour ça qu'on l’appelait "Frankenstein". Imagine : tu mets deux Honda Civic l’une à côté de l'autre, tu ouvres le capot et ce n’est pas la même disposition.
Une citation de Un ex-technicien qualité de Lion Électrique
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Les anciens cadres et employés de l'entreprise qui se sont confiés à nous ont démissionné dans les derniers mois ou ont perdu leur emploi dans les vagues de mises à pied récentes. Puisqu’ils ont signé des engagements de confidentialité avec l’entreprise, nous avons accepté de ne pas les nommer.
Le camion Lion6, "on l’a surnommé le camion "tie wrap"", raconte un ancien technicien, parce que beaucoup d’éléments étaient tenus par des attaches de plastique.
Usine de Lion Électrique.
Assemblage d'un camion électrique, à l'usine de Saint-Jérôme, en 2023
Photo : La Presse canadienne / Christinne Muschi
"Il y avait deux trous dans le plancher par où pouvaient rentrer l’air, le froid et l’humidité, ajoute-t-il. Le chauffage et la climatisation roulaient tout le temps, alors que pour garder l'autonomie de la batterie, il faut que tu aies un véhicule hermétique."
La direction de Lion Électrique a d’abord décliné à plusieurs reprises nos demandes d’entrevue au sujet de la performance des camions. Elle a ensuite accepté de répondre à des questions par écrit.
Le vice-président Marketing, Communications et Affaires publiques de Lion, Patrick Gervais, estime que "les commentaires reçus d’anciens employés, souvent amers, manquent de crédibilité" et sont "dénués de tout fondement".
Cependant, les anciens de l’entreprise ne sont pas les seuls à avoir vu des problèmes avec les camions.
La Société des alcools du Québec (SAQ) avait, par exemple, renvoyé plusieurs fois le camion au fabricant. "Il était impropre à la conduite", disait un cadre de la SAQdans un reportage de Radio-Canada en 2023. "Il y avait plus de problèmes que de choses qui fonctionnaient sur ce camion", relatait aussi une source à la société d’État.
Pour la présente enquête, plusieurs anciens de Lion nous ont expliqué que sur le Lion8 Tracteur, la caméra de recul avait été mal pensée et ne permettait pas de voir jusqu’à l’arrière quand une remorque était accrochée.
Des clients et d’anciens employés ont aussi rapporté que l’autonomie de certains modèles de camions était jusqu’à deux fois plus faible que celle annoncée.
"L’autonomie d’un véhicule dépend beaucoup de l’utilisation par l’opérateur", répond le porte-parole Patrick Gervais, ajoutant : "Nous avons les détails sur la performance de chacun de nos véhicules et notre autonomie annoncée concorde avec les résultats obtenus sur le terrain."
Le camion électrique Lion5.
Le camion électrique Lion5
Photo : Lion Électrique.
"Le Lion5 avait un châssis incroyablement complexe et coûteux, raconte l'ancien chef de section Ingénierie. La qualité de finition de la cabine était très loin de ce qu'offrent les compétiteurs."
Il y avait aussi beaucoup de problèmes au niveau des batteries, "des courts-circuits, des flammèches", ajoute l’ancien technicien qualité.
Des camions vendus trop vite?
"Le camion, quand on avait fini de l'assembler, on le sortait et on le vendait", explique l’ex-technicien, même si le résultat n’était pas toujours à l’entière satisfaction des employés.
Les véhicules sortaient avec des bobos, en toute connaissance de cause.
Une citation de Un ancien directeur de projet de Lion Électrique.
"Les gestionnaires n'incluaient pas les mécaniciens à la discussion, ils ne prenaient pas en compte leurs commentaires, ils n'en faisaient qu’à leur tête", dit un ex-directeur de projet.
Un employé travaille dans une usine.
Un employé de Lion Électrique dans l'usine de Saint-Jérôme, en avril 2023
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Nos sources estiment que davantage de tests auraient dû être réalisés avant de vendre les camions, ce que réfute l'entreprise.
"Les certifications en matière de transport sont très strictes, et nous respectons toutes les normes en vigueur, et les dépassons souvent à plusieurs niveaux", nous a répondu Lion Électrique.
"Tout s'est fait livrer trop rapidement, avec trop de produits livrés en même temps", explique l'ancien gestionnaire des ventes, qui ajoute : "Le design ne pouvait pas se faire bien tester, et la production devait assembler avant même de savoir comment faire."
Il fallait livrer, livrer, livrer des camions et signer des bons de commande. C’était important aux yeux des actionnaires.
Une citation de Un ex-gestionnaire des ventes de Lion Électrique
Certaines sources affirment même que des prototypes ont été vendus à des clients, ce que nie l’entreprise : "Nous ne vendons évidemment aucun prototype", indique le porte-parole Patrick Gervais.
Justin Trudeau debout derrière un lutrin et devant un camion électrique.
Le premier ministre canadien Justin Trudeau et l'ex-ministre de l'Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon, lors de l'annonce d'un investissement fédéral-provincial pour Lion Électrique, en 2021
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Jusqu’à récemment, Lion Électique était considéré comme un fleuron québécois. Entré en bourse en 2021, l’entreprise avait l’ambition de vendre 18 000 autobus et camions électriques en 2024. Finalement, elle n’en a vendu que 386 véhicules du début de janvier à la fin de septembre et elle s'est placée à l'abri de ses créanciers en décembre.
Le gouvernement du Québec a, pour le moment, perdu 177 millions de dollars investis dans l’aventure. Le gouvernement canadien risque de voir s’envoler 30 millions.
Aujourd’hui, les activités de Lion Électrique sont quasiment à l’arrêt, en raison de la restructuration en cours. Il reste 160 employés sur les 1350 que comptait l’entreprise il y a 2 ans. Ceux qui demeurent en poste aideront les clients pour l'entretien des véhicules.
Environ 1300 autobus et un nombre non déterminé de camions Lion Électrique roulent sur les routes. Ils ont parcouru plus de 52 millions de kilomètres, précise l'entreprise, qui affirme que 2200 de ses véhicules circulent. "Nous sommes aussi l’entreprise qui a le plus de camions de classe 6 100 % électriques sur les routes en Amérique du Nord."
"On n'avait pas de méthode"
"Certains clients ont reçu des véhicules mal fabriqués", admet un ancien vice-président de Lion Électrique.
Le camion électrique Lion6.
Le camion électrique Lion6
Photo : Lion Électrique
"Le contrôle des modifications techniques et le processus de fabrication ont entraîné des incohérences dans la qualité des véhicules, explique l'ex-gestionnaire haut placé. Les réparations en cours de fabrication ont produit des incohérences."
Selon lui, le personnel de l'entreprise québécoise avait trop peu d’expérience de la production automobile et de ses normes, ce qui a nui à la qualité de l’approvisionnement.
"Les ambitions étaient démesurées", explique l’ancien cadre chargé de l'ingénierie et du développement de produits. "On commandait 5000 pièces, on en prenait 50. Il y a plein d’inventaires de pièces inutilisées."
"On développait des produits sans se demander combien ça coûtait, ajoute-t-il. Les dirigeants avaient mal compris le marché."
"Ils auraient dû se concentrer sur les autobus", leur produit initial, croit l’ancien technicien qualité.
Marc Bédard.
Plusieurs témoins montrent du doigt la haute direction, à commencer par le président fondateur Marc Bédard, comme source des difficultés de Lion Électrique.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Un ex-directeur de projet montre du doigt la piètre performance de certains gestionnaires et le fait qu’il y avait trop de projets : "Ils s’éparpillaient beaucoup trop, ils ont vu beaucoup trop grand, beaucoup trop large."
"On était en train de travailler sur quelque chose, que eux [les gestionnaires] étaient en train de développer, relate un ancien technicien. On n’avait pas de méthode."
"Les processus internes étaient préoccupants, raconte son ancien collègue sur le plancher. La chaîne de production semblait manquer de cohérence."
En cas de réception de pièces défectueuses, les employés sont souvent contraints de "faire avec", compromettant la qualité finale des véhicules.
Une citation de Un ancien employé de Lion Électrique
"C’est arrivé que le mauvais grade de boulon était commandé par erreur et installé sur des véhicules", ajoute un ancien chef de section.
Le temps d’assemblage était beaucoup plus long que chez les compétiteurs affirme, pour sa part, un ex-gestionnaire.
Usine de Lion à Saint-Jérôme.
Le camion électrique Lion6 assemblé à l'usine de la Compagnie électrique Lion à Saint-Jérôme, au Québec, le lundi 21 août 2023
Photo : La Presse canadienne / Christinne Muschi
"Combien de fois on a rappelé des autobus pour changer des boulons ou pour changer les rivets?" se souvient un ex-technicien.
En panne au milieu des animaux africains
Le PDG du Parc Safari Jean-Pierre Ranger garde un souvenir douloureux des camions électriques Lion8 qu’il a reçus en 2022 : "Sur les sept camions qu’ils m’ont livrés, il y en a trois ou quatre qui fonctionnaient", indique-t-il à Radio-Canada.
"Ils m'ont coûté 800 000 piastres en argent non gagné par les déficiences et ils n’ont jamais accepté de me compenser de 5 cents."
M. Ranger explique que Lion Électrique a accepté de lui remplacer les camions Lion8 par des Lion6, mais que c’est lui qui a dû payer le transfert des véhicules. "Ça, c’est un reproche que je fais à la compagnie Lion : ils sont radins."
Un camion Lion Électrique pour transporter les visiteurs au Parc Safari, à Hemmingford, au Québec.
Un camion Lion Électrique pour transporter les visiteurs au Parc Safari, à Hemmingford, au Québec
Photo : Parc Safari
Même en 2023, après le changement de camions, "les Lion6 avaient des comportements pas tout à fait normaux, ils tombaient en panne", explique-t-il. "C'était embêtant d'avoir 50 personnes dans un camion qui tombe en panne parmi les animaux africains."
Toutefois, depuis, "ça s'est réglé", tient à nuancer M. Ranger. "Et aujourd'hui, j'en ai neuf [camions] qui fonctionnent. [...] Je suis heureux, ça marche."
D’autres clients potentiels de Lion n’ont pas attendu que les problèmes se règlent et ont fait marche arrière. C’est le cas d’Amazon, qui, en 2021, évoquait l’idée d’acheter des millions de camions Lion.
Selon nos informations, Amazon a annulé une commande de Lion6 après avoir essayé deux d’entre eux. L’entreprise ne l’a pas confirmé et n’a pas répondu à nos demandes.
Le Canadien National devait acheter 50 camions Lion8 Tracteur, mais, elle n’était pas satisfaite de l’essai et elle a revu sa commande à la baisse.
"Nous avons ajusté le nombre de véhicules de notre commande à quatre, et les commandes subséquentes seront assujetties à la performance", explique la porte-parole du CN, Michelle Hannan. À l’heure actuelle, le CN n’a pas reçu de camion Lion8 T.
Un camion-nacelle électrique commandé par Hydro-Québec à Lion.
Un camion-nacelle électrique commandé par Hydro-Québec à Lion
Hydro-Québec a commandé trois camions-nacelles électriques et deux Lion6. "Un des camions-nacelles a été envoyé récemment au centre de service de Lion pour des ajustements techniques", explique le porte-parole de la société d’État Louis-Olivier Batty.
Selon nos sources, l’entreprise de meubles Tanguay a dû renvoyer à plusieurs reprises des véhicules qui n’étaient pas satisfaisants. L'entreprise ne le confirme pas. Elle dit avoir un seul camion et une bonne relation avec le fabricant de véhicules.
Lion Électrique aurait demandé des ententes de confidentialité à certains clients. Interrogée à ce sujet, l’entreprise ne l’a ni confirmé ni infirmé.
"Commercialiser de nouvelles technologies amène son lot de difficultés et de défis, nous en convenons, et c’est pourquoi très peu d’entreprises tentent de relever ces défis", dit le vice-président de Lion, Patrick Gervais, qui ajoute : "Malgré tout, chez Lion, nous n’avons jamais cessé d’innover et nous sommes des pionniers reconnus à cet effet en Amérique du Nord."
Avec la collaboration de Marc Gosselin et d'Aude Garachon
Fil complet:
- Chatons Électrik racontent « le flop » des camions. -
Jéromec,
06/01/2025, 18:34
- Chatons Électrik racontent « le flop » des camions. - Dédé, 06/01/2025, 20:59